« Les gouvernements sont intéressés à faire en sorte que la société ne soit pas éclairée car s'ils éclairaient la société qu'ils gouvernent, il ne faudrait pas beaucoup de temps avant qu'ils soient anéantis par cette société qu'ils auraient éclairée. » Thomas Bernhard, écrivain autrichien (1931-1989).
Sans qu'il n'y paraisse de prime abord, cette citation vaut pour la modeste grève en cours à la SNCF, au sujet de laquelle le journal «Libération» nous propose une lecture bien particulière. Elle est contenue dans ces deux titres:
«Bussereau: «La grève à la SNCF est inutile et doit s'arrêter» Selon le secrétaire d'État aux Transports, «aujourd'hui, il n'y a pas de négociations, il y a «une entreprise qui perd de l'argent et des clients gênés dans leur vie quotidienne»,
et
L'avantage? Grève inutile? Des clients gênés dans leur vie quotidienne ?
Dire que le traitement et l'interprétation des grèves varient selon les circonstances est une platitude. Celle qui est en cours aujourd'hui à la SNCF ne relève pas de la génération spontanée. Elle est à regarder de près. Elle va laisser de lourdes traces, y compris pour ceux que cette actualité agace, dérange ou indiffère.
Il en va, tout simplement de l'avenir des transports collectifs et de notre vie possible ensemble. Comme une grenade dégoupillée.
Pour l'heure, sur l'écorce, la direction de la SNCF ayant fait le choix du chaos, elle s'en sera tenue au pire. Comme prévu.
Sa tactique était lisible dès le départ, puisque le tireur de ficelles du ministère du Transport avait décidé de muter cette grève en laboratoire de l'intox et la caisse à outils de techniques de manipulation.
Il faut dire qu'il y a du rattrapage de pourcentage d'audimat à générer et qu'il leur faut créer les conditions d'une casse des retraites dans la plus grande paix sociale. Dans la crainte et l'ignorance de l'expression "rapport de force"...
La viscosité de ses larmes de crocodile envers les usagers ne masquera pas qu'il s'agit d'un baume politique pour mieux les circonvenir et mieux ravager leur avenir.
Messieurs Pépy et Bussereau ont au moins le mérite de la ténacité.
Nous avions déjà écrit qu'ils mettraient un point d'honneur à favoriser le chaos et qu'ils s'y tiendraient. Voilà qui est fait: le 8 avril, la Direction de la SNCF «n'a pas voulu ouvrir de négociations», alors que 40% des personnels concernés étaient en grève.
Pépy et Bussereau ne jouent pas au bilboquet. Le plaisir qu'ils auraient à mater des grévistes relève moins d'un plaisir personnel, fut-il coupable, que d'une nécessité lourde. En voulant occuper la scène en pères fouettards, en jouant personnel gréviste contre usagers, ils sont à la fois l'encre et le poulpe.
Derrière le nuage noir, le noir encore. Celui du transport ferroviaire terrestre en France. Celui de l'avenir du transport le moins polluant sur une planète en excès de fièvre.
Attardons-nous sur ce véritable enjeu, que très modestement des cheminots véhiculent à travers un de leurs mots d'ordre, leur opposition aux «restructurations du fret».
Vous trouverez en annexe un document PDF « À propos d'urgence écologique, de politique de transport et de fret ferroviaire » datant du 17 novembre 2009, signé de Christiane Fourgeaud et Nadine Floury.
C'est un texte long. Il n'est pas si fastidieux à lire qu'on pourrait le craindre. Plus on avance, et plus on sent un piège se refermer, dont on soupçonnait à peine l'emplacement et l'importance pour notre vie.
L'analyse froide de la situation montre un tableau terrifiant où l'intérêt commun est ignoré sur la question des transports liée à une «urgence écologique majeure » qui, traitée par le gouvernement et la SNCF tient de la «supercherie écologique» et du camouflage d'un démantèlement du système ferroviaire public, par«privatisation programmée».
Le projet du Président Pépy (Horizon 2012) prévoyait dèjà en 2008 «d'éclater l'entreprise SNCF en branches d'activités autonomes et le lancement d'une campagne de recrutement de cheminots volontaires pour casser la réglementation du travail.» Nous y sommes. Voilà pourquoi ils n'ont rien à négocier.
Les auteurs disent :«Les plans pour sauvegarder le fret ferroviaire : une vaste supercherie», et que l'annonce du gouvernement de relancer le fret ferroviaire n'est qu'un«engagement national pour le fret privé», avec l'argent du contribuable.
«En quoi l'urgence climatique est-elle prise en compte lorsqu'on réalise que le transport routier reste promis à un bel avenir et que le saccage du fret ferroviaire reste programmé ?»
«Il y a urgence oui !
Face à cette mise en concurrence généralisée, cette rupture de solidarités qu'organise le capitalisme dans sa phase néo-libérale et singulièrement quand il se pare de « vert » pour poursuivre la logique d'accumulation qui lui est consubstantielle,
face à des médias qui tentent de formater une opinion publique à grands coups de « prises d'otages des usagers »,
il y a urgence à mettre la question des transports, du réchauffement climatique, de la notion de service public au débat public et à ce que la population, salariés, usagers, se l'approprie».
Bonne lecture... à s'approprier.
Alors, complot, l'abandon du fret ferroviaire par "une République poubelle" ?
Grève inutile? Des clients gênés ?
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PDF_A_propos_durgence_ecologique_de_politique_de_transport_et_de_fret_ferroviaire_nov2009.pdf | 118.25 Ko |
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