On va supposer que ce n'est qu'une histoire, et pas du tout la réalité.
C'est une bien singulière histoire, inédite, qui pourrait bien connaître des résonnances dans le monde du travail, au sujet de la "rupture conventionnelle" si les prolongements juridiques s'y prêtent.
A moins que l'affaire fasse très vite "pchitt" et se dégonfle.
Sauf que les intentions auront été vues qui mettent au jour l'arbitraire, l'abus de droit, et l'indécence.
Au départ, il s'agit d'un cas simple et ordinaire. Du vécu qui ne fait pas la Une des journaux locaux.
Ils n'en soupçonnent même pas l'existence. Et pour cause: les protagonistes se taisent. L'un cache son geste et l'autre le subit en silence. Un monde sans visage. C'est la loi des horreurs ordinaires. Du grignotage de vie à petits pas.
Vous vous souvenez de ce qu'est la rupture conventionnelle.
C'est ce dispositif, (voulu par le Medef et accordé en cadeau par Sarkozy) qui devait «pacifier» les rapports dans l'entreprise. Il donne la possibilité à l'employeur et au salarié de rompre le contrat de travail d'un commun accord, indépendamment du licenciement ou de la démission. L'employeur et le salarié peuvent convenir des conditions de la rupture du contrat de travail. Par négociation, donc, pour améliorer le minimum prévu par les textes, qui indiquent que le salarié doit percevoir une « indemnité spécifique de rupture conventionnelle».
Sur son blog un avocat en présente les avantages et les inconvénients, de son point de vue de spécialiste.
Vous y lirez qu'un des avantages pour l'employeur est que les " risques de contestations par le salarié sont faibles, voire nuls. Seul le cas de vice de consentement ou de contrainte pourrait être invoqué par le salarié. Mais encore faudrait-il qu'il le prouve...", ce qui n'est déjà pas rassurant dans la bouche d'un avocat !
En effet quand l'employeur et le salarié ont convenu d'un accord de rupture amiable et l'ont formalisé par établissement d'une convention, un délai de rétraction de 15 jours entre les parties doit être respecté, afin "d'éviter les décisions trop hâtives".
Mais en plus, on se rend compte du moelleux de la pâte. L'avocat nous explique que l'employeur peut se laisser aller à maquiller le formulaire; par exemple, un petit "aménagement" est très tranquillement exposé: "L'employeur antidate en général avec le salarié l'entretien et la signature du document de 15 jours à trois semaines, afin d'envoyer immédiatement le document à la DDTE pour homologation. On supprime ainsi le sujet du délai de rétractation de 15 jours". C'est sympathiquement dit comme une évidence !
Voilà au moins qui a le mérite de la clarté: la rupture du contrat de travail est l'anti-chambre de la triche. Aux dépens des salariés, bien entendu, et aux frais de la collectivité, cela va de soi.
Avant de terminer la présentation - pénible mais nécessaire - de ma petite histoire, il faut se rappeler que pour rendre effective une "rupture conventionnelle", une "demande d'homologation doit être adressée au directeur départemental du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle (DDTEFP)... La DDTEFP dispose de 15 jours ouvrables, à compter de la réception de la demande, pour s'assurer du respect des conditions et de la liberté de consentement des parties. À défaut de notification dans ce délai, l'homologation est acquise. La validité de la convention est subordonnée à son homologation." On distingue là toute la valeur du maquillage des dates: le salarié ne pourra plus se rétracter.
Au moyen de quelques dates, et dans le cadre de ce qui est évoqué plus haut, vous allez voir comment dans la France d'aujourd'hui, on traite une salariée. Ce n'est pas Dallas, mais presque. Ce pourrait être vous ou quelqu'un de vos proches.
Je résume l‘histoire: l'employeur signe avec la salariée une rupture conventionnelle où il gruge la salariée; la DDTE s'en aperçoit et refuse la convention de rupture; l'employeur trouve la parade: il va licencier la salariée pour faute grave et l'attaquer devant un Conseil de Prud'hommes qui est la voie de recours en cas de refus d'homologation !!!
. 21 décembre une convention d'accord est signée entre l'employeur et la salariée, la rupture devenant effective le 26 janvier.
> l'employeur dispense la salariée de venir travailler (en étant payée) dès la signature du 21 décembre.> délai de rétraction: 15 jours du 22 décembre au 5 janvier > il n'y aura pas de rétraction.
. 6 janvier dépôt de la convention à la DDTEFP
. 7 janvier réception par la DDTEFP
. le 19 janvier pour la salariée et le 20 janvier pour l'employeur : réception d'une lettre de la DDTEFP indiquant son refus d'homologuer, au prétexte que « l'indemnité spécifique de rupture conventionnelle est inférieure au minimum».
. 19 janvier la salariée (qui était dispensée de travail jusqu'au 26) téléphone à son employeur qu'elle se présentera à son poste de travail le lendemain. Son employeur refuse quelle réintègre.
. 20 janvier l'employeur, qui ne veut plus voir chez elle la salariée, lui signifie une mise à pied et la convoque à un entretien préalable à licenciement pour faute grave (pour que la salariée ne réapparaisse plus dans l'entreprise. !)
. 22 janvier l'employeur saisit le conseil de prud'hommes contre la DDTEFP et la salariée à cause du refus d'homologation de la DDTEFP
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Ce cas de figure résume de façon magistrale ce que "rupture conventionnelle" veut dire: ce dispositif est l'habillage parfait de tous les arbitraires et les détournements, au profit exclusif de l'employeur pourvu que celui-ci s'y intéresse un peu. Ce mode de rupture, c'est sa chose. Celle que le Medef a voulu et que ses amis ont mis en musique par la «loi de modernisation du marché du travail» du 25 juin 2008.
Ils ont voulu une Loi en caoutchouc mou, malléable et pratique. Ils l'ont. On s'en rend bien compte ici: les facilités offertes ouvrent la porte à tous les abus.
Outre que l'employeur fait peser sur la salariée les effets d'un dispositif nauséeux en la maltraitant, on jettera un coup d'oeil sur la dernière page de la plaquette MEDEF -DRS mise en ligne par l'UFTM (Union Française des Tapis et Moquettes). C'est le petit détail qui tue, présent en toute loi imprécise qui laisse une avenue aux juges en cas de contentieux... si le salarié à la force et les moyens de le faire, ce qui est plutôt rare. L'art de rendre floue une loi pour décourager les velléités de résistance.
Exemple: que se passerait-t-il si le Conseil de Prud'hommes "annulait" la décision de la DDTEFP ?
Cramponnez-vous aux branches, réponse de la brochure MEDEF:
«L'homologation est une décision administrative. Conformément aux principes généraux du droit administratif l'annulation du refus d'homologation n'emporte pas homologation. Il n'appartient pas au Conseil de Prud'hommes de prendre une décision d'homologation qui est par nature administrative. A la suite de l'annulation par le Conseil, les parties doivent retourner devant la DDTEFP, à qui il appartient de statuer en tenant compte de la décision du Conseil.»
Vous aurez compris. La croisière s'amuse: le Conseil ne peut pas prendre une décision dans un sens, mais dans l'autre si... Il pourra annuler, mais ce sera la DDTEFP qui «tiendra compte» de la décision du Conseil...
Et puis immanquablement, viendront encore s'entrechoquer «la liberté de consentement des parties», les règles du «contrat», les contestations sur «la force obligatoire vis-à-vis des administrés», la «hiérarchie des normes»... devant un Conseil de Prud'hommes dont la vocation n'est pas de vaquer dans «l'administratif». Tout cela ne se savait pas avant ? Ces chicanes ne pouvaient être évitées ?
Notre salariée payée au SMIC est piégée là dedans, mise à pied donc non rémunérée, attendant un licenciement infamant.
Elle doit se présenter devant la justice avec un avocat au sujet de la non homologation alors qu'elle n'y peut mais.
Et puis bientôt licenciée pour faute grave, toujours sans ressources, se présenter à nouveau avec un avocat pour sauver son honneur dans une saisine du Conseil.
Alors, figurez-vous bien que l'affaire Clearstream et l'auto-flagellation de Jean-Paul II, elle s'en tape un peu. Elle a d'autres chats à fouetter.
A commencer par résister.
Bien entendu, s'il s'avérait que l'histoire soit vraie, elle serait remise sur le tapis.
Elle le sera puisque c'est du vécu récent. Du lourd.
"Pacifier le contrat de travail", qu'ils disaient ! Ils gueuleront au charron quand les salariés brûleront des pneus !!
à suivre...
> dessin tiré de l'article "http://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/rupture-conventionnelle-et-justice-59868" de Jean Claude Benard sur AgoraVox
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