09 Janvier 2010 Par Raphael JORNET
Bonjour, je suis le DRH.
Hier matin, j'ai bu de l'Ovomaltine. Croqué des barres d'Ovomaltine, avec un peu de pâte à tartiner (Ovomaltine, la diététique de l'effort ). La caféine, pour les instants qui allaient suivre, n'était pas indiquée. J'avais décidé de petit-déjeuner light, pour ne pas en rajouter aux tourments à venir. Des œufs brouillés, pour me mettre dans l'ambiance d'une journée sans fin. Mais, à bien y réfléchir, je me suis ravisé: il fallait prendre des forces.
C'était un jour du temps d'aujourd'hui, comme les autres, « dans un contexte social actuel, particulièrement tendu ». Glaçé.Dans la cour d'immeuble de l'entreprise, il neigeait.
A l'intérieur, dans la salle de réunion, dix minutes avant le film, je m'étais approché de la table en U. Tout était en ordre, les places étiquetées, le papier blanc. En évidence sous cotes bleues, les dossiers des sujets inscrits à l'ordre du jour.
A l'intérieur, dans la salle de réunion, dix minutes avant le film, je m'étais approché de la table en U. Tout était en ordre, les places étiquetées, le papier blanc. En évidence sous cotes bleues, les dossiers des sujets inscrits à l'ordre du jour.
Ma chaise était située sous un répartiteur plafonnier d'aération. J'ai très vite fait ce choix, car j'ai compris qu'à chaque fois j'allai souffrir, manquer d'air. Dès mon entrée en fonction, j'avais ressenti le besoin de trouver un allié, fut-il virtuel, comme un dérivatif aux moments de grande solitude. Je l'avais trouvé complice, le souffle thermo-régulé, que je recevais du dessus. Il m'apaisait. Je m'étais tissé un cocon à cet endroit. Comme mon paradis en enfer où, comme à chaque fois, à un moment donné, il me faudrait compenser un air soudain vicié : des représentants du personnel seraient là tout à l'heure. Délégués du personnel ce matin. Ceux du CE l'après midi.
Cette journée serait pénible. Comme à chaque fois, la certitude de vivre un mal être en service commandé. J'étais, une fois encore le petit télégraphiste, préposé aux punitions. D'abord, il faudrait serrer des mains molles et moites, croiser des regards accusateurs, sous des effluves salariales au coton Décathlon à fond sans la forme, qui prendraient vite le dessus sur mon Gentleman de Givenchy.
A quelle sauce voudraient-ils me manger cette fois-ci ?
Tout ici, est agaçant et vulgaire. Il faut faire semblant de débattre sur des décisions prises et sur des évidences incontournables. Rendre des comptes comme on va au confessionnal. Faire semblant de garder son calme. Et d'abord, subir ce cérémonial immuable, de nature à vous glacer le sang : devoir entendre le plus capé de la délégation CGT (on le surnomme « Joseph », à la Direction...- comme Staline - ! Amusant, non ?) prendre la parole. Puis les autres, par ordre décroissant des pourcentages électoraux des gardiens de la meute. A débiter des fadaises avant les mauvais coups.
Comment allaient-ils aujourd'hui « instrumenter le droit »? Quelles « manœuvres...dilatoires » emploieraient-ils « pour contrer les décisions prises par nos dirigeants. » ? Ce matin comme cet après midi, ils feront « feu de tout bois pour bloquer ou retarder les licenciements économiques... les opérations de réorganisation, de fusion ou de cession ». Comme d'habitude.
Ils bloquent. Ils ne font que bloquer.
J'en arrive à me demander s'il ne faudrait pas que la Direction durcisse le ton et s'organise plus pour contourner mieux. Il faudrait mettre sur pied quelque chose de durable. Répertorier les problèmes et former nos gens : « quelles sont les principales manœuvres dilatoires utilisées par les instances représentatives du personnel ? Quels sont les principaux instigateurs de ces stratégies ? Quels en sont les mobiles ? Comment anticiper et éviter les blocages ? Comment limiter les risques de contentieux ?
Faut-il faire évoluer les relations collectives et comment ? Comment les négociations interprofessionnelles actuelles envisagent-elle les remèdes aux situations de blocage ? »
Faut-il faire évoluer les relations collectives et comment ? Comment les négociations interprofessionnelles actuelles envisagent-elle les remèdes aux situations de blocage ? »
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Maintenant, c'était le tour à FO. Nous avions déjà perdu 45 minutes. Je croisai les bras. Un coup de menton dans sa direction. Indispensable. Ils croient toujours que je les écoute ânonner leurs récitations. Mais mon regard se perd sur un point fixe au-delà de leur épaule, là-bas sur le mur opposé. Je ne les entend pas.
Où en étais-je ?
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Ah oui ! La voilà la bonne idée : il faudrait qu'on nous dispense une formation pour les mieux circonvenir. On nous ferait comme un Vade-mecum, comme un questions/réponses automatiques. Le guide Michelin des rapports sociaux, mitonné par des toques pures et dures.
« QUELLES SONT LES DIFFÉRENTES STRATÉGIES DE BLOCAGE ? COMMENT Y FAIRE FACE ? Que faire en cas de « démission en bloc des membres du comité ? ». Quelle doit être notre attitude en cas de « non respect de l'accord de méthode », devant leur « refus de cosigner l'ordre du jour du CE », de « contestation pour insuffisance d'information » ?
Comment affronter et contrer le « recours à un expert » ? Quelle sera notre attitude en cas de « refus de délibérer, de siéger ou d'émettre un avis », en cas de « refus d'établir le procès verbal de réunion », quelle « action judiciaire en suspension ou annulation de la procédure...etc. » ?
Et puis, comme la meilleure défense est l'attaque, on nous montrerait « COMMENT SE PRÉMUNIR EN AMONT ? » Tout serait disséqué : les ficelles de la « concertation », le type « d'informations à communiquer, le nombre de réunions à prévoir. »
Comme il faut quand même laisser croire que l'entreprise lâche quelque chose (les laisser attraper la queue du mickey pour un coup de défouloir-soupape qui les fera gueuler « on a gâ-gné ! on a gâ-gné ! » avec leurs troupes, c'est la paix assurée pour quinze jours) on apprendrait à fixer les « marges à laisser aux suggestions » des délégués, le mou qu'il faut laisser pour le « travail en commission », au «groupe de travail ». Comment mener une « Procédure de médiation... une bilatérale ».
Des professionnels, « d'éminents spécialistes » de la stratégie répondraient à nos questionnements « à la lumière de leur analyse technique et pratique » Et puis aussi à celui-là, vital : « QUELLES SONT LES STRATÉGIES PRIVILÉGIÉES PAR LES ÉLUS, LEURS CAUSES ET LEUR OBJECTIF ? ... le contexte... les stratégies ... les instances en cause ».
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A peine avais-je achevé de discipliner ces stratégies là, le gauchiste de SUD commençait son intervention. Ils appellent cela des « déclarations liminaires » !
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J'ai noté l'essentiel de ce que j'avais rêvé. Restait où, quand, comment ?
Avant qu'arrive l'instant où j'aurais à remercier les intervenants - d'un air entendu et gourmand - pour la pertinence de leurs propos (!!), j'ai eu cette fulgurance : j'irai proposer au DG d'actionner ses relations au Medef pour mettre sur pied une « matinée-débats » qui s'intitulerait... par exemple... : « Faire face aux stratégies de blocage des représentants du personnel ».
On pourrait débattre à l'Hôtel de Crillon, 10 place de la Concorde, 75008 Paris, « Luxe d'initiés, Luxe d'émotions », in the Heart of Paris.
Des amis « Juristes d'Affaires », des « Cahiers du DRH » organiseraient une matinée. Il y aurait aussi le « Directeur du Lamy social », avec des intervenants du « Cabinet Cabinet Bouaziz Benamara », de chez « Lovells LLP », du « Département GRH, Fidal. ».
On dirait que ce serait le 22 janvier 2010.
J'avais eu le temps de faire ce rêve, en réunion D.P., tellement je m'ennuyais, et tellement je me suis dit que maintenant ça suffit. Qu'avoir un pouvoir politique à poigne réformatrice n'est pas synonyme de garantie de paix sociale pour l'avenir de la libre entreprise. Qu'il faut frapper durablement là où ça fait mal. Qu'il faut que l'entreprise sorte des contraintes imbéciles héritées de l'après guerre 39-45, de celles de 68 et de 81.
J'ai fait ce rêve et Wolters Kluwer France - Lamy WOLTERS KLUWER FRANCE - LAMY l'ont réalisé en tous points, sous forme d'une « conférence », de 9h00 à 11h30.
La participation est très raisonnable : pour les « non abonnés, la matinée est facturée 621,92 euros TTC. (TVA : 19,60%) » par personne. Au prix où sont les bombes artisanales, cet armement est donné. « Service du petit-déjeuner compris », bien entendu. Avec ou sans Ovomaltine. Pour l'imputation comptable, pas besoin de vous faire un dessin. Ce sera comme d'habitude.
Pour y participer, il faut s'adresser à « Wolters Kluwer France - Lamy WOLTERS KLUWER FRANCE - LAMY - Tél : 0 825 08 08 00 - Fax : 01 76 73 48 32 - E-mail : matineesdebats@lamy.fr. »
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Regardez, ce n'est pas un rêve. Tout est là. Ce n'est pas un film non plus.
Ils font de la stratégie. Comme s'ils devaient se défendre face à des envahisseurs, ils emploient les grands moyens. Les leurs, qui sont gros.
Sur l'écran plat de leurs économies virtuelles, si nous n'y prenons garde, nous ne serons bientôt plus que des avatars.
La partie est inégale.
Ils se préparent à la guerre.
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