Je rase les murs. Quand j’entends parler d’identité nationale, je me fais tout petit. Pas facile pour une identité française de 134 kg, de se faire petit. Mais je rase les murs, ceux qui ne sont pas derrière des barrières, en fer ou de préjugés. Dans ma famille on a toujours rasé les murs, quelque chose ou quelqu’un. On s’est aussi fait raser.
Quand j’entends les mots « identité nationale », je sors un doux « volver » de 1935 qui les vit tanguer avec Carlos Gardel. (1) (2)
Je parle du lieu où ils ne retournèrent pas, mes parents. Ils sont devenus d’ici mais étaient d‘autre part. Comme d’autres qui fuirent, entre deux ventres creux, deux balles, deux pogroms ou deux stukas. Sur ceux-là, l’identité nationale leur tomba dessus comme la vérole sur le bas clergé espagnol, alors que la France et le Royaume-Uni n’intervenaient pas pour cause d’identité nationale. Déjà.
Alors, je suis d'ici. De l'étendard sanglant-ant, mes parents connaissaient déjà un peu la musique. Mais d'une autre couleur. Pas le sang, le drapeau.Sans vouloir en rajouter, je soupçonne mes aïeux d’avoir eu cette posture : une « marrane attitude »; de vilains rapports avec le roi Ferdinand V d’Espagne et la reine Isabelle la Catholique qui, (quelle modernité !) cherchaient déjà une identité nationale. Sale temps pour les juifs.
Depuis, des convertis rasent les murs de l’Alhambra (derrière la mosquée) ou d'ailleurs. Comme les temps changent ! Dans ce pays là, maintenant, les arabes aussi rasent les murs. Pas n’importe lesquels : ceux d’une Grenade par eux magnifiée mais qui leur pète au nez. Voyez où vont se cacher les identités nationales ? On est toujours le « bougnoule » de quelqu’un.
En tout cas, c’est dans ce pays là aux cultures mêlées mais en terrasses qu’aux confins de la ligne bleue de l’Aragon est né mon père. Sûr de lui et dominateur, la fibre patriotique prêt du bonnet catalan, il y fit longtemps des castellets les jours de fête pendant lesquels son « porrón» n’en finissait pas de se vider.
Mon papa avait la fibre tellement identitaire qu’un jour de 1936, il ne trouva rien de mieux, à 18 ans, que d’imaginer qu’il existait et qu’il fallait le montrer. Il partit donc la fleur au canon d’un vieux fusil se battre contre des moulins à vent qui parlaient d’identité nationale. Mais plus franco encore: ceux-là, raides du cul après la messe, se disaient même nationalistes. « Viva la muerte ! » était leur cri de ralliement, qui avait été mis en paroles par celui-là même qui criait aussi « A mort l’intelligence ! ». Allez vous y retrouver !
Avec ses compagneros, mon père perdit la bataille de l’Ebre, tous leurs illusions, et lui seulement son bras droit. Quand on perd et qu’on est encore en vie, il n’est pas interdit de se retirer. Alors, comme le pays d’à côté était la France, par nature et par réputation une terre accueillante, il prit le train à la l'Estació de França de Barcelone et passa la frontière du Perthus avec 465000 autres en février 1939, rasant les abîmes.
Quelques semaines plus tard, Philippe Pétain est nommé ambassadeur de France en Espagne, pour y prendre de la graine d’identité nationale.
Au camp de concentration d’Argelès-sur-Mer, mon petit doigt me dit que mon père aurait bien voulu raser les murs. Mais il n’y en avait pas. Que des barbelés. Sur la plage abandonnée, sans coquillages et sans crustacés, de l’autre côté de l’eau bleue, c’était l’Amérique. Ici aussi, mine de rien. Mais mines autour du camp, les gardes mobiles surveillant déjà les rouges, parce que cette racaille représentait un danger potentiel pour l’Etat et/ou la société. Dysenterie ou pas.
Le jour vint où, remontant vers le nord de la France, mon père continua de raser les murs. D’abord parce que les gardiens de l’aérodrome de Châteaudun (28), habité par des nationalistes (mais socialistes, ceux-là), militaires et allemands, l’y invitaient.Marchons. Marchons. C’est bien joli de marcher. Mais iI fallait bien arriver et se poser. A défaut des monts des oliviers restés là-bas, la Beauce à Péguy fit l’affaire de deux jeunots polyglottes en devenir. Ils seraient l’un et l’autre mes parents, sans le savoir encore. L’endroit faisait rêver : il abreuvait ses sillons de blé dur. Pour faire du pain et les madeleines de Marcel qui n'en était pas revenu, perdu qu'il était, parti à la recherche du temps perdu.
Ma maman Garcia, elle, arriva dans ce même plat endroit avec ses dix frères et sœurs. Son père était sergent, ce qui était logique. Il était militaire, ce qui l’était aussi. Il y avait de la cohérence dans cette identité là.
Avec la masse, il avait passé le Rubicon et la frontière ibérico-française, parce qu’un garde républicain à cheval qui rasait les murs avec d'autres républicains à Barcelone ne faisait pas très nationaliste ni très catholique. Ton identité, tu l’aimes ou tu la quittes, qu’ils ont failli lui dire, le doigt d’une phalange espagnole pointé sur lui. Il n’a pas attendu. Il a couru aussi.
Après, je vous passe les détails : ma future mère, joueuse autant qu’espiègle (elle était l’exception dans cette famille d’austères ibères) après qu’elle eut caché un certain nombre de fois la blague à tabac du beau jeune homme manchot dans ses parures de dimanches endimanchés, alanguies entre les pattes d’un chêne pédonculé qui avait en avait vu d’autres, des vers verts et des pas murs, (il avait dû connaitre Louis XIV mais pas encore Max Gallo l’historien), se sentie prise de douleurs. Je naquis doucement, croissant au lait que Mendès France tint un jour à me faire boire encore. Il fallait soutenir la production laitière française.
Alors, mon père devint bûcheron dans la forêt des Carnutes, que Jules César cite dans sa « Guerre des Gaules ». Déjà de l’immigration transalpine. Non contrôlée. Des barbares peu sympathiques à qui nos ancêtres les gaulois donnèrent le bon dieu sans confession. A moins que ce ne soit l’inverse.
Son vis-à-vis bûcheron (de mon père, pas du bon dieu) était portugais. C’est déjà dire le brassage migratoire ! Celui là, sans coups férir, était venu manger le pain des bûcherons français qui trouvaient la scie passe-partout trop pénible à manœuvrer. « Salauds de Portugais ». Et je ne vous parle pas des polonais… Il faut dire à leur décharge que les bûcherons beaucerons étaient devenus garçons de ferme, sur de vieux tracteurs Mac Cormick puis sur des Farmall Cub dont les américains inondaient nos plaines. Pouvaient pas rester chez eux, maintenant, les américains, après qu’ils aient pété toutes nos villes, ce qui avait contraint nos paysans à faire du marché noir payé en liquide ?
Moi, hérédité aidant, j’ai su très vite raser les murs. D’abord, ceux de la maison de maître à particule où nous étions logés, ma mère y étant esclave ordinaire, de la cuisine au plafond. C’est ben vrai, ça.
Derrières les grilles de la cour, mon enfance défila là, attentive à observer des comme nous, mais français, qui, joyeux, ne rasaient pas les murs des maisons du village. Sauf qu’il ne fallait pas leur ressembler. Ou plutôt si, mais en mieux. Pour l’intégration.
Nous avions déjà pour consigne de nous préparer à être « moins voyous », moins voleurs de pommes qu’eux, et, à l’école, d’être devant pour être mieux français. Pour qu’on ne regarde pas dorénavant par l’arrière notre avenir en fonction du passé de nos parents qui était devant eux. Il y allait de notre identité et de notre honneur, qu’il disait le père, qui sentait bon la belle forêt française. Nous ne savions pas encore qu’il fallait que nous devenions plus nationalistes que les nationaux, sous peine de rasage ou de prise de tête. Espingouins un jour, espingouins toujours, mais chez les autres.Tout se passa suivant le timing.
Sauf pour l’église au clocher où jamais nous ne mîmes les pieds, au risque de nous rendre suspects, donc étrangers.
Du village, un jour, le fils de l’instituteur est parti au lycée. Moi, au collège d’enseignement général. J’étais déjà bien intégré, non ? Si, je vous assure: seuls les fils des « vrais » allaient au lycée. Il serait médecin, et moi instituteur. Ou cheminot. La division internationale du travail, encore.
Vous direz ce que vous voulez, mais la conscription en temps de paix pour un service militaire obligatoire était un creuset d’intégration nationale. Je partis et je revins deux ans plus tard, après avoir maintenu "l’ordre et la sécurité" en Allemagne, tirant comme un fou des projectiles au canon d’un obusier de 105 automoteur AMX13. Il fallait bien finir d’user le matériel revenu d’Algérie. Pour la première fois, j’avais vu des compatriotes plus bronzés que moi. Pas des tirailleurs sénégalais, non, mais presque. Ils s’intégraient aussi.
Et depuis, le temps à passé. Je fais souvent des paellas à mes enfants, à qui je raconte souvent cette histoire naturelle. Ils ne comprennent pas tout. C’est normal, ils sont français pur sucre. Alors, je les termine à la tarte Tatin, au Sancerre, vu que Romorantin, c’est le terminus de l’autorail, tout le monde descend.
Aujourd’hui, Monsieur Sarkozy rase les murs. Il a envoyé son compatriote Fillon parler à sa place, sur la pointe des pieds, tellement ça dérape dans la gadoue, l’identité nationale. Ça ne va pas le grandir.
Je ne sais pas pourquoi je vous ai raconté tout ça. Tout à l’heure, je vais aller raser les murs avec mon chien.Avec un peu de chance, couvre-feu ou pas, personne ne me demandera mes papiers.
En revenant, je boirai encore un coup de rouge à la santé d’Éric Besson. Pour oublier ? Non. Il ne faut pas. Me recuerdo de tout.
C’est d’abord pour cela que je vais boire, pour ne pas oublier. Après, le deuxième, pour la route, ce sera pour ne pas gerber à l’idée de débattre sur l’identité nationale ou sur les minarets. Enfin, une dernière pour la route, parce qu’il faut bien résorber le surplus de la production viticole française du midi, aux mains des pieds noirs ou des immigrés italiens, je ne me souviens plus. On dit que pour les vendanges, ils auraient déjà une pénurie de main d’œuvre étrangère, dont des bretons, qui étaient à l’origine des têtes de turc.
J’ai le moral dans mes baskets thaïlandaises.Ça pourrait bien gâcher mon identité, non ? Surtout que j’ai dû débattre, sans le faire exprès. Pardon à Nadine Moreno, Jacques Chirac, Brice Hortefeux .
« C'est en Espagne que ma génération a appris que l'on peut avoir raison et être vaincu, que la force peut détruire l'âme et que, parfois, le courage n'obtient pas de récompense. C'est, sans aucun doute, ce qui explique pourquoi tant d'hommes à travers le monde considèrent le drame espagnol comme étant une tragédie personnelle, la dernière grande cause. » . Albert Camus.
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