mardi 9 août 2011

"prise d'acte" dans le code du travail ou "prise d'acte" dans l'isoloir en 2012 ?


Pour rompre le contrat de travail, il y a la démission, le licenciement, la rupture conventionnelle. Trois modes de rupture prévus au Code du travail.
Mais depuis 2003, la Cour de cassation a construit – à partir de dispositions du code civil - une jurisprudence autour de ruptures de contrat de travail « urgentes » à l'initiative du salarié, motivée par une « faute grave » de l'employeur qui empêche le salarié de continuer à assurer son poste : c'est la prise d'acte.


« Prendre acte de la rupture de son contrat de travail c’est décider de mettre un terme à la relation de travail pour des faits que l’on reproche à son employeur et qu’on estime suffisamment graves pour en rester là. »

« La prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur qui empêche la poursuite du contrat de travail » (Cass. Soc. 30 mars 2010 n°08-44236)

La prise d’acte de la rupture n’est ni une démission, ni un licenciement mais a pour conséquence de rompre immédiatement le contrat de travail (Cass. soc. 30 juin 2010, 09-41.456). Cette prise d'acte - qui entraîne une rupture définitive du contrat de travail - est matérialisée par une lettre à l'employeur, dans laquelle le salarié informe de la prise d'acte, même succinctement et sans se justifier, les termes du litiges devant être exposés précisément devant le Conseil de Prud'hommes.

Car justement, il appartient ensuite au salarié de demander au juge une résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur.
Chaque Conseil de prud'hommes apprécie en fonction du cas spécifique, et, s'il retient les arguments du salarié, la prise d’acte de rupture produit « ... les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. » Cass. soc., 5 mai 2010, n° 07-45.409. Avec des indemnités de licenciement et éventuellement des dommages et intérêts. Et donc, à l'inverse du cas de démission, le salarié a droit aux prestations Assedic. Mais si les juges ne donnent pas droit aux griefs du salarié, le salarié se retrouve en simple « démission »...

La prise d'acte est donc un mode de rupture jurisprudentiel. Elle est mise à la disposition des seuls salariés (en CDI), et commence à se faire une jolie réputation dans les salles d'audience, tant les « retraits » brusques du poste de travail (manquements contractuels de l'employeur, mesures vexatoires, non respect de règles de sécurité, de santé, salaires non payés, etc...) montent en puissance. L'employeur ne peut y avoir recours, puisque si les services rendus du salarié ne lui conviennent pas, il peut entamer tout naturellement une procédure de licenciement.

L'abondance de contentieux sur prise d'acte - et les résultats favorables aux salariés - à dû finir par alerter une frange éclairée du patronat, qui voit d'un mauvais œil se multiplier les exemples où l'entreprise est mise en demeure de se justifier sur les raisons invoquées par le salarié dans sa prise d'acte alors que ce genre de désagrément n'existe pas en cas de démission « simple » et non suivie de recours prud'homal !!! Et c'est un épisode qui coûte cher à l'entreprise.

Alors, comme une urgence en génération spontanée, un groupe de 23 députés UMP (dont 6 parlementaires de la Droite Populaire, qui se dit « droite décomplexée », qui est là « ... pour sécuriser un peu les choses, pour protéger le Président de la République viennent de déposer un projet de Loi qui vise à incorporer la prise d'acte au Code du travail. Ils devaient sûrement penser que la réglementation, l'encadrement de cette rupture éviterait des ennuis judiciaires exponentiels aux employeurs...

Le suivi du devenir de ce projet de loi est important à plusieurs titres :

  • d'abord, contrairement au principe général du Code du travail, le doute ne profiterait plus au salarié et il lui incomberait la charge de la preuve. Or, la Cour de cassation exige que ce soit l'employeur qui supporte la charge de la preuve en cas de prise d'acte!!! C'est à l'employeur, par exemple, de prouver qu'il a bien mis en œuvre des dispositifs de sécurité (un arrêt du 12 janvier 2011), et non au salarié d'amener les preuves qu'il ne l'a pas fait.

  • En l'état de la jurisprudence, les propos contenus dans la lettre de rupture par le salarié ne fixent pas les limites du litige, c'est devant le juge qu'ils doivent êtres développés par le salariés : or, la proposition de loi invite le salarié à motiver sa lettre.

  • Les députés UMP proposent que l'employeur puisse aussi utiliser la prise d'acte comme moyen de rupture... alors qu'il dispose déjà de la procédure de licenciement !!
On notera l'humour du geste : des libéraux sont soudainement pressés de proposer une loi pour protéger les employeurs, (dissuader les salariés d'agir) au moment où Laurence Parisot pour le Medef et Hervé Novelli pour l'UMP, joignent leurs efforts pour rejeter toute loi fixant la durée légale du temps de travail pour y substituer une durée du travail "conventionnelle"

« Connaître les règles du jeu », disent-ils au Medef. Avec, pour arbitre à la manoeuvre le candidat « naturel » de l'UMP, qui doit craindre aujourd'hui que les électeurs du printemps prochain créent majoritairement une rupture par prise d'acte dans les isoloirs.


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