mardi 6 mai 2008

> Travailler et masser plus, pour garder son emploi?

C'est l'histoire de Mireille.

Elle est obligatoirement importante puisque c'est son histoire.
Dominique Conil, dans son billet de blog Médiapart du 6 mai 2008 ("Travailler sans pisser") nous conviait à lire l’histoire d’Elisabeth. 

Elisabeth éviscérait-emballait beaucoup, beaucoup de poulets, mais était moins performante que certaines de ses collègues… au motif qu’elles « …zappaient les deux pauses toilettes, …(et)… portaient des couches culottes, en cas de malheur».

Il était une fois la France de 2007, en quelque sorte, dans la perspective d'une nouvelle rupture sarkoziste, d’une vie nouvelle, celle du « travailler plus pour pisser moins ».
Zola me pardonne, je ne laisserai pas Dominique Conil attraper la queue du Mickey sans me battre, sans que je réponde aux couches culottes immergées en milieu salarié. Je manœuvre mes tiroirs gigognes.

Donc, voici l’histoire vraie de la technicienne Mireille et de son employeur qui a mal au dos.



Vous savez bien que le mal de dos est le mal du siècle. Plus de la moitié de la population française en souffre réellement. Travailleurs de force, bien sûr, mais, paradoxalement, et bien plus encore les personnes statiques, jusqu’aux «victimes de la mode », mes frères et soeurs stressés en ces temps modernes…

Pour y pallier, des solutions médicamenteuses multiples sont disponibles. A chacun son traitement, bien sûr, par voie générale et/ou locale.

L'employeur de Mireille, le pauvre, a mal au dos. Depuis longtemps.
Dans cette petite entreprise de confection d’objets de précision, deux salariées assurent l’essentiel de la production d'une spécialité « pointue », dans cette ville de province. Le chiffre d'affaire est florissant.
Mais l’employeur a mal au dos.


Pas au point de s’adonner au traitement dérivés de la morphine. Non. Simplement à des anti-inflammatoires, proposés sous forme de gel, à faire pénétrer par les pores de sa peau. C’est la voie locale. Mais c’est une voie qui mène loin…

Un matin, Mireille vint me voir. Elle venait de recevoir une convocation à un entretien préalable à licenciement, elle avait voulu que je l’assiste en tant que conseiller du salarié et se présentait pour que nous parlions de son affaire.
Elle resta assise une demi-heure face à moi, à ne rien dire de ce qui l’affectait.
Moi: « - Vous avez fait des bêtises qui méritent une sanction professionnelle ?"
Elle: " - Non ! »

Je lui expliquai avec mille précautions, mais aussi avec l’air bougon de celui à qui on ne la fait pas, qu’il fallait bien qu'elle me dise l’essentiel si elle voulait que ma présence soit utile, que je ne devais rien ignorer de la situation où elle se trouvait dans son contrat de travail.
Alors, s’ouvrit la vanne de l’essentiel et du détail : le mal au dos de l’employeur, si prégnant que chaque soir de la semaine à 18 heures, se baissaient les persiennes de l’atelier; l’employeur qui se déshabillait et s’allongeait sur la paillasse du laboratoire. Évidemment, puisqu'il faut au moins être deux pour que le gel pénètre par les pores de la peau !
Et chacune sa semaine, à tour de rôle, les deux employées de l’entreprise faisaient de leur mieux pour réconcilier leur patron avec son dos.
« - Donc, ce projet de licenciement, c’est à cause de votre attitude nouvelle: vous refusez dorénavant de masser ? » Large sourire, en guise réponse.
Impatient de nature, adepte de « ce qui fait sens, éclaire, explique » le lecteur de MEDIAPART et de ses blogs, je le sens bien, trouve déjà le billet un peu long. Vous voulez une chute ? La voilà.
Le jour prévu, je pénétrai dans l’entreprise, accompagnant Mireille. C’est justement dans le labo qu’on nous fit assoir, en face de l’employeur et de son épouse. Quand, nos pedigrees déclinés, nous en étions venus à l'instant de l’exposé des griefs qu’il avait à l’encontre de la salariée, l’employeur raconta sérieusement un fait fautif imprécis ainsi que les répercussions directes et négatives sur le service. Sans sourciller.
Je lui demandai si « c’était tout ? ». Il se lança derechef, jusqu’à ce qu’il se fatigue, sur les difficultés de l’heure et la concurrence mondiale.
Quand je lui demandai, presque à voix basse, avant de clore l’entretien, en lui montrant la paillasse, si c’était bien là où il se mettait tout nu pour se faire masser, son visage devint douloureux, coloré, passant du rouge au vert. Son épouse eut un mouvement désordonné du corps et se recala sur son siège.
Autant qu’il me souvienne, l’employeur, pour éviter que le journal
local «enquête, interroge, vérifie» et montre à ses lecteurs jusqu’où
les salariés de France sont malmenés dans leur contrat de travail, -jusqu’où le rapport de subordination écrase sans limite - fit un geste prudent. Pour éviter la case départ d'un Conseil de Prud'hommes énervé, il se fendit d’un très rapide et très substantiel chèque à l’ordre de la salariée.
Il n’y a pas de morale ? Si. Les langues se délient.

Qu'elle plaise ou pas, ceci était une histoire vraie, sauf le prénom de la salariée.


Lizzy Mercier-Descloux - Mais où sont passées les gazelles ?

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Encore un de ces articles qui me laisse sans voix.
Jusqu'où certains d'entre nous, humains, sont-ils prêts à aller dans le rapport de domination à l'autre.
édité :
Mais pourquoi ce couple a t-il été gêné, finalement ? un reste de morale ? une habitude pas encore bien ancrée de l'esclavagisme renaissant ?
08/05/2008 13:02Par Fantie B.

Anonyme a dit…

Pensez-vous que Nicolas a parfois du mal au dos ?
08/05/2008 16:06Par Klaus Werner

Anonyme a dit…

Raphaël, tout le monde aimerait avoir les coordonnées de quelqu'un comme vous dans son agenda pour le jour où il aura à aller négocier son départ !
08/05/2008 16:32Par grain de sel

Anonyme a dit…

Merci Raphaêl pour cet article. Quant à moi, je considère que tant que le salarié sera subordonné à son employeur et qu'il vend, sur le marché du travail, sa force et son savoir pour vivre: démontre que l'esclavage n'a toujours pas été aboli...ni le droit de cuissage!

Un ancien de l'UIS CFDT.
08/05/2008 17:51Par oued kniss

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