lundi 6 septembre 2010

> Ma matinée avec Raymond Domenech




Il avait lu mon site dédié aux licenciements. Il venait de recevoir sa convocation à un entretien préalable au licenciement de la Fédération Française de Football dont il était salarié, en CDI. Il voulait me voir pour quelques éclaircissements procéduraux.

Nous étions convenus d'un rendez-vous chez moi la semaine dernière. La distance importait peu: Paris-Tours en TGV en quarante cinq minutes et tout le monde descend.

Derrière la grille, un crinière blanche et deux yeux de braise, genre à regarder sous les jambes des filles.




  • Monsieur Jornet ?



  • Oui, bonjour !



  • C'est Raymond Domenech.

Nous nous sommes installés dans mon bureau d'été, sous le parasol vert de mon petit jardin de ville.

Bougon, genre jamais content, il m'indiqua avoir été encore récemment titulaire d'un job d'encadrement à double casquette de l'équipe de France de Football, et que manifestement, son employeur ne lui voulait pas que du bien.

A l'énoncé de son nom au téléphone je n'avais pas fait le lien avec l'épisode du Mondial. Il faut dire à ma décharge que je me contrebalance du football et des footballeurs qui exécutent un sport où pendant quatre vingt dix minutes ils n'ont de cesse de faire semblant d'avoir mal, font allo maman bobo puis s'en retournent dans leur Porsche Carrera jusqu'au Hilton le plus proche.

Il me raconta quelques épisodes marquants ayant eu cours dans son contrat de travail. Décidait-il seul de tout? Non, répondit-il, la FFF est toujours d'accord.




  • Vous permettez que je vous appelle Raymond ?

J'employai des mots apaisants, façon Alain Souchon. Sans trop me mêler du fond. Je lui avançai qu'il devait bien se rendre à l'évidence, qu'ils allaient faire un exemple, que les boucs émissaires sont indispensables pour dégager en touche - voyez les Roms, Raymond - et distraire des foules sentimentales pendant qu'on s’occupe de casser la retraite des vieux. Pour manœuvrer l'opinion, c'est soit le joueur de flûte ou le poulailler's song.



  • Vous savez bien, vous connaissez la musique, Raymond ! 
    Il me répondit que oui. 
    Qu'il avait joué dans le bagad de Lan Bihouémais qu'il "ne la voyait pas comme ça la vie".
Le bagad ? Tiens ! Je trouvais étrange qu'un catalan en ait été.




  • Raymond, vous savez bien que votre maillot de l'équipe de France n'a plus les couleurs d 'origine ! Vous aurez beau vous acharner, essayer de les ravoir à l'eau de javel, rien n'y fera. C'est le désamour. Et l'amour à la machine, ça ne passe pas.
Pour résumer, je pensais que ses carottes étaient cuites. Qu'il n'y aurait pas de retour en arrière.
Qu'il y aurait le décorum du licenciement, l'exécution publique.




  • Non, pour ce qui concerne l'éventuel licenciement, des éléments qu'il m'avait exposés, je ne pensais pas: il ne serait pas facile à son employeur d'exposer des griefs qui porteraient sur des faits de « gouvernance » sur lesquels elle était d'accord.




  • Ils ne vous ont pas proposé de « rupture conventionnelle » ?



  • Non! mais moi oui. Ils n'ont pas voulu.



  • Vous voyez bien, Raymond, pour se séparer de vous, ils ont fait une mise en scène médiatique: il leur faut un licenciement en bonne et due forme.




  • Quand j'serai KO, je pourrai aller aux Prud'hommes?



  • Bien entendu ! Vous pourrez enfin troquer votre survêtement pour contre un vêtement civil.






  • Faites ce que vous voulez, Raymond.




  • Je toucherai les Assedics ?



  • Oui Raymond. Même avec une faute qualifiée de grave. Sur la base de votre salaire. Combien percevez-vous ?
Il ne répondit pas. J'avais lu quelque part que c'était 40000 euros (+ primes) mensuels. D'autres disent 12000 euros. Mais Raymond saura nous le dire un jour.

Il ne répondit pas.

Je lui demandai s'il avait des projets. Il me dit que non.
Je lui suggérai, entre deux anisettes Cristal Liminana de postuler chez l'Oréal, sur le site duquel, la veille, j'avais lu sur la page « Mécénat », qu'au « travers de sa Fondation d’entreprise, L’Oréal s’engage à promouvoir la science, encourager l’éducation et aider les personnes fragilisées par l’altération de leur apparence... ». J'aime bien l'Oréal. J'ai dit à Raymond qu'il y serait bien. Car eux aussi, comme lui-même, ont le sens de l'éthique. Ils ont même unDirecteur de l'éthique, c'est dire !


Quand Raymond est reparti, il se chatouillait moins le menton. Sur RCF St Martin de Tour (Radio Chrétienne Francophone), Jordi Savall délivrait un message de paix.

++ 

Et puis, comme tout le monde, j'ai appris hier par France Info que Raymond aurait reçu sa lettre de licenciement, et ce pour faute grave.
Quelqu'un aurait cafté ? De chez son employeur ? Voilà qui serait un régal pour l'avocat de Raymond, aux Prud'hommes, par comparaison avec le récépissé de la notification !! Et un licenciement abusif, un !

En plus de cette autre réalité: cette annonce de fin de contrat courait les ondes, les journaux, l'internet avant que la procédure même soit lancée.

Tu sais quoi, Raymond ? Tu es parti pour obtenir un an de salaire brut en net, aux Prud'hommes !

Paix à Raymond.
D'autant que mon petit doigt me dit que tout cela peut très bien être de la mise en scène entre les deux parties: en contrepartie de la médiatisation d'un licenciement en forme de « c'est moi le chef », Raymond signerait quelques jours plus tard un accord transactionnel qui lui rapporterait l'équivalent dedeux ans de salaire brut en net !!! Ou plus. Moyennant une non saisine du Conseil de Prud'hommes, bien entendu. Circulez, braves gens.

A l'œuvre, les joueurs de flûte, enfumeurs des gogos que nous sommes.

Demain, je ne sais si Raymond et son licencieur de la FFF viendront défiler avec nous. Comme notre rendez-vous, la fiction . 




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