lundi 24 mai 2010

> un mandat peut en cacher un autre




Supposez que vous travaillez sur deux CDD chez deux employeurs distincts sans que ni l'un ni l'autre le sache. Supposez que, en cumulant ces deux emplois, vous dépassez le temps de travail légal.

Si l'un des deux employeurs vous le demande (à cause de ce dépassement) vous aurez à choisir entre les deux emplois. Sinon, vous risquez le licenciement pour faute grave.
C'est la limite du désormais célèbre « Travailler plus pour gagner plus ».

A supposer que vous soyez parlementaire et que vous cumuliez d'autres fonctions électives rémunérées.
Là, soudain, nous basculons dans le « cumuler plus pour ne pas travailler plus mais gagner plus ». Et vous ne risquez pas de vous faire licencier. Et que vous soyez absent ou pas, vous « touchez ».


Alors que la loi « considère qu’il est physiquement impossible pour un élu d’assumer en même temps les responsabilités d’élu municipal d’une ville importante, de parlementaire et d’élu d’un Département ou d’une Région » des hommes politiques continuent à cumuler les fonctions et les indemnités. Le tableau des cumuls tirés du Monde et cet autre sont parlants.

L'actualité montre que des sénateurs rechignent à ne pas cumuler.

Le Sénat, royaume de la cooptation en République, continue de jouer les vierges.
Au delà du débat sur le bicamérisme « qui a prouvé son utilité » dira Christian Poncelet, (et dans le même temps son inutilité diront d'autres), et de sa suppression qui nous mènera à la VIè République, on doit bien pouvoir parler en langage courant du cumul des mandats qui y règne en maître absolu.

« Le cumul est de fait à la base d'un système de caste et d'arrangements qui permet aux hommes politiques de perdurer au delà du raisonnable. Un système dont les conséquences néfastes sont fort bien exprimées par ailleurs. Il ne peut que s'amplifier si une interdiction stricte du cumul représentation nationale – fonction exécutive locale n'est  pas imposée par la loi. »

Venus ici détenir un « mandat de sécurité » en forme de "bouée de sauvetage" pour la plupart, ils cumulent encore.
Ont-ils tellement de besoins que les 7000 euros net mensuels (plus autres avantages et indemnités) en activité ne suffisent pas ? Est-ce la perspective des petits 4000 euros net mensuels de retraite de sénateur, qui s'ajouteront à d'autres retraites inhérentes à leurs autres activités, qui les pousse à thésauriser pour les vieux jours ?

Pourquoi les sénateurs cumulent-ils? S'ils avaient à répondre sérieusement, ils diraient: « C'est personnel ».
Pierre Mauroy le confirme sans fard, le 18 mai 2010: « J’ai cumulé beaucoup d’emplois, et ça a été le succès de ma carrière, son efficacité et sa puissance ». C'est clairement exprimé. Il évoque sa « carrière », pas le résultat de celle ci. Pierre Mauroy qui est né en 1928 est – ce n'est pas lui offense, il y a les mêmes de l'autre côté - emblématique de l'occupant de cette « fonction de prestige » que l'on attribue aux hommes politiques quand la fatigue les gagne un peu. Garder du pouvoir jusqu'à la fin dans cet endroit que de « méchantes langues assurent tout à la fois qu’il est une agence de l’emploi et une maison de retraite de luxe pour les quatre grands partis politiques français, (et) qu’il est truffé de lobbyistes ».

Claude Lévy qui a a été longtemps le correspondant AFP auprès du Sénat à écrit dans son livre en forme de « mise à l'index » «  La bulle de la République - Enquête sur le Sénat »(Calmann-Lév) que " Le Sénat représente une synthèse du Kremlin et du Vatican. Rien n'est dit en face. Tout est biaisé ". Et justement, la force d'inertie opposée à tout changement dans l'institution est à la mesure de l'enjeu.

Il est étonnant que les sénateurs, « suspectés de sécher les séances de leur chambre, ou d’empocher des revenus sans vraiment travailler » ne soient pas plus offensifs pour argumenter publiquement sur le sujet en produisant les « tableaux de présence ». Mais il est vrai que l'opacité est là encore chez elle, y compris jusqu'aux comptes du Sénat, traités en interne, qui ne peuvent pas être vérifiés par la Cour des comptes, pourtant chargée de vérifier tous les comptes de la République !

Ils seraient nombreux à ne pas venir siéger au Sénat ? "Je pense que si l'on commençait par ne pas payer les sénateurs qui ne viennent pas, comme cela se fait dans beaucoup de pays, ce serait déjà une révolution" proposait Yvan Stefanovitch, interrogé par  le Télégramme de Brest, en 2008, à l'occasion de la sortie de son livre « Le Sénat. Enquête sur les super privilégiés de la République »(Éditions du Rocher).

Partons d'un raisonnement simple: s'il était démontré que les sénateurs ne sont pas assidus au Sénat, c'est qu'ils ont trop de travail ailleurs.
Il y a bien eu des modifications de la loi sur le sujet en 2000 et 2005, mais elles ne sont ni respectées ni assez restrictives.
Et donc, il faudrait aider les sénateurs. La meilleure façon n'est pas de les montrer du doigt, mais de ne plus leur permettre de souffrir d'un cumul de mandats, sachant que « chaque fonction élective demande un temps plein pour son exécution maîtrisée ».

Mais alors pourquoi donc les partis politiques ne proposeraient-ils pas une loi qui protègerait la santé de tous les parlementaires ?
Il en est une, qui, pour ne pas les couper « de la base » (c'est leur argument principal, la main sur le coeur), consisterait à les laisser siéger dans l’assemblée locale de leur choix avec voix consultative non rémunérée, en ne versant qu'un seul revenu par fonction principale occupée.
Les autres fonctions éventuelles étant effectuées à titre gracieux, nous verrions alors fondre au soleil les cumuls de mandats !

Mais les cumulards d'aujourd'hui résistent, allez savoir pourquoi.
En fait, il ne s'agit que de volonté politique, c'est-à-dire de courage, pour en finir avec cette verrue antidémocratique là.

Le P.S. s'y est attelé, qui pourrait s'enorgueillir d'aller au bout de son idée de « salubrité démocratique », même seul.
Contre « l'exemplarité morale » du projet de non cumul de leur parti, ses sénateurs seraient « vent debout » arguant que ce serait scier leur branche, que le basculement à gauche du Sénat ne se ferait pas si cette décision unilatérale était prise par le seul PS et pas par les partis de droite. Que ce serait un « désarmement unilatéral ». Ils disent aussi, argument suprême, qu'en 2008, ils n'avaient gagné que grâce à des « locomotives ». Ils oublient que sans wagons, le petit train n'est plus qu'une machine.

Être majoritaire au Sénat dans cette fin de Vè République serait d'une importance historique si les Français voyaient à quoi sert le Sénat...

++

> ce dessin est tiré de ce blog.

 (tableau "Le Monde")





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