vendredi 7 mai 2010

> ma petite entreprise de contre-visites médicales




Ça y est. Ma décision est prise. Je vais créer mon affaire de contre-visites médicales. Il y a de l'argent à gagner. Je rêvais de l'auto-entreprise depuis longtemps. Modeste au début, elle grandira vite, ma petite entreprise, dont je ferai évoluer le statut juridique, car le temps s'y prête et le marché florissant. L'absentéisme sera mon gagne pain.

Les médias abordent souvent le problème de l'absentéisme. Déjà, en visionnant le 1er mai 2007 – entre les deux tours de la présidentielle - le superbe reportage de TF1, émission Droit de Savoir, j'avais eu comme un choc: Charles Villeneuve m'avait ouvert les yeux sur « la France qui triche ». Comment était-ce possible que les salariés trichent autant et se fassent ordonner des arrêts maladie ?


Je m'étais dit que soumises à ce régime, les entreprises françaises ne survivraient pas, qu'elles ne seraient plus longtemps compétitives, que l'économie française serait vite à genoux. Je ne m'étais pas trompé: c'est la crise. Et ce n'est pas que la faute à Madoff. Les salariés en arrêt maladie y contribuent largement.

Allez savoir pourquoi depuis 2007 les contrôles des arrêts de travail sont devenus un marché florissant. J'aurai donc perdu trois ans à ne pas avoir apporté aussitôt ma pierre au redressement national.

L'idée du concept de ma future entreprise est simple et citoyenne: me faire mandater par les chefs d'entreprise en vertu de ce « droit de vérifier la validité d'un arrêt maladie qui leur a été accordé en 1978 en échange de l'obligation de donner des indemnités complémentaires » au salarié arrêté.

Je serai le mandataire de ceux qui feront confiance en ma technique de contrôle. L'étude de marché qui a emporté ma décision d'agir a refoulé toute crainte sur la faisabilité de mon initiative: « les chefs d'entreprise sont de plus en plus enclins à utiliser » les services de mes futurs confrères . C'est une chance, pour eux. Me voilà, j'entre aussi dans les paramètres de leur gestion.

Je ne sais pas vous, mais pour moi, pour que le pays aille mieux, il faut « mettre un frein aux arrêts de complaisance ». Je pense, comme Stephan Pierantoni, qui a fondé Médivérif il y a un an et demi, qui pense que le secteur a de l'avenir car les employeurs sont encore nombreux à méconnaître ce droit à la contre-visite :« Et quand ils sont au courant, ils hésitent à l'employer car ils ont peur de s'attirer les foudres des syndicats.».
C'est ça le problème, je le craignais un peu: les syndicats sont encore capables d'être un frein à l'épanouissement à mon entreprise de contre-visites médicales. Le président Sarkozy les a bien affaiblis, mais ils gardent encore ce pouvoir de nuisance, les syndicats.
Pour que nous puissions nous diversifier, nous ferons un lobbyisme intense: en contrepartie d'améliorer notre système de lutte contre l'absentéisme, le Président étendra nos pouvoirs d'investigation, on lui demandera qu'il nous donne plus de poids et que la CPAM soit obligée de tenir compte de notre décision. L'oeil du maître dans nos stéthoscopes.

Comment je vais faire ?
Déjà, je vais me bricoler un « code de déontologie ». Outil pour la lutte contre les abus, je serai « impartial » et vite « reconnu ». Je serai votre bras armé pour contrôler les arrêts de travail qui vous semblent « suspicieux ».

Pour l'intendance, par de problème, je sais que je dois commencer petit:
> Un local, deux ordinateurs,
> deux commerciaux démarcheurs, l'un au téléphone et l'autre visitant les entreprises pour trouver le client et susciter l'envie du contrôle.
> un site internet. Il vous expliquera qui nous sommes et comment nous sommes efficaces.
Vous verrez que nos conditions générales de vente sont explicites: j'agirai sur « mandat » pour un « contrôle impartial et neutre ».Mes tarifs seront « disponibles sur simple demande » et s'entendront « hors taxe, TVA en sus ». Il vous suffira de remplir le questionnaire en ligne pour contracter avec moi. Vous pourrez payer par chèque bancaire.
> je facturerai 100 euros la prestation au moins par salarié visité, dont 50 euros « l'acte » pour le médecin contrôleur.

Je passerai des contrats de mission avec des médecins à la retraite, qui désœuvrés, déprimés, pourront arrondir leurs fins de mois difficiles et se rendre encore utiles à la société, fut-elle commerciale.
J'exigerai du médecin contrôleur qu'il soit malin; il comprendra vite que c'est de la qualité de sa prestation que dépend la survie des entreprises françaises qui sont mes clientes, et donc de sa rémunération. Il comprendra vite que sinon, je serais capable d'embaucher un jeune médecin.
Son visage d'homme âgé sera rassurant pour le salarié visité. Sa technique sera éprouvée, codifiée: paraître investi par l'Autorité et non par une initiative privée, s'imposer d'emblée au salarié visité, lui faire prendre conscience que les médicaments ont bien fait leur effet et qu'il faut reprendre le travail dès demain.
Cette reprise de travail prendra symbole d'avertissement pour les autres salariés, et d'effet d'entraînement à l'acceptation passive des règles du travail que l'employeur aura décidé. Ne pas confondre maladie et sabotage de l'entreprise.

Plus le nombre de salariés visités qui reprendront le travail grâce à moi, plus le bouche à oreille patronale sera juteux. J'aurais aussi, enveloppée dans un mouchoir, rangée dans mon tiroir caisse, cette fierté d'avoir participé au redressement économique du pays.

Après, cela ne me regarde plus. Si le salarié ne reprend pas son poste, vous pourrez le sanctionner en supprimant le salaire compensatoire, et vous n'hésiterez à le sanctionner encore par le lancement d'une procédure de licenciement.

Ainsi sera démontré que « l'absentéisme au travail n'est en aucun cas une fatalité ». L'entreprise cliente, grâce à moi,pourra « intervenir activement sur l'afflux des arrêts de travail que vous recevez et les conséquences pénibles qui en découlent (mauvaise ambiance au sein des équipes de travail, embauches coûteuses d'intérimaires ».Le « préventif » et le « dissuasif » pour toutes les bourses entrepreneuriales. Et aussi la mienne.
Il y aura toujours des rabats-joies qui avanceront qu'il y a de la « souffrance au travail, un manque de reconnaissance qui pousse certains salariés à s'arrêter, que le stress est, par exemple, la cause de 18% des arrêts de travail des cadres, que l'entreprise doit aussi « s'interroger sur son fonctionnement ». Mais ce n'est pas le sujet.

Les entreprises seront contentes, moi aussi. Nous aurons géré de concert le « capital humain », lutté contre le « nomadisme médical » de salariés tordus, inconscients du mal qu'ils font à la Société.

Mon démarcheur va contacter Médiapart dans quelques jours, pour diminuer son absentéisme. J'ai donné comme instruction de lui faire un prix. A titre d'essai.
Bien entendu, le moment venu, j'irai m'inscrire au Medef.
Souhaitez-moi bonne chance.

--

J'allais conclure, mais je viens de lire dans le numéro 1641 (6 mai 2010) (PDF joint) de « Gestion Sociale La lettre hebdomadaire des dirigeants » cet article:

"UK: écourter les arrêts maladie coûte cher
Surprenant : faire la chasse à l’absentéisme en poussant des salariés qui ne sont pas totalement remis à revenir au travail, cela peut coûter cher. Une fois et demi plus cher que les arrêts maladie qui représentent déjà un manque à gagner de 13 Mds£ pour les entreprises britanniques. Conclusion d’une étude que publie The Work Foundation, en collaboration avec Axa. Surprise, le nombre de travailleurs présents, mais dans l’incapacité de tenir leur poste, est plus important que celui des absents.
Sur une période de quatre semaines, un employé sur deux avoue venir dans l’entreprise, bourré de médicaments. Le plus souvent de peur d’être mal vu par sa hiérarchie. Contre un sur cinq seulement, qui a bénéficié d’un congé. L’étude suggère aux DRH d’envisager des formes de travail allégé à domicile, plutôt que de mettre la pression sur les collaborateurs concernés. Cette étude tombe au moment où le ministère de la Santé lance un vaste plan de lutte contre l’absentéisme thérapeutique, avec l’objectif d’économiser 555 M£ d’ici à 2013. »

N'importe quoi ! Pauvres anglais ! J'ai toujours pensé qu'ils n'étaient pas comme nous.



> Quels experts en contrôle médical et arrêts maladie, avant que j'arrive sur le marché:  ici   ici

> Pour aller plus loin sur le contrôle des arrêts de travail, une page du site de l'Ordre National des Médecins.

> Le dessin d'illustration est tiré du blog « Le Barnabéen ».

Souvenirs :


critique de "La France qui triche" par "Arrêt sur Image"



sur d'autres qui tricheraient...


Fichier attachéTaille
Gestion_sociale_ndeg_1641.pdf291.48 Ko

1 commentaires:

Tom karter a dit…

Très intéressant tout ça ! Merci bien ! Pensez-vous que c'est métier d'avenir ?

Enregistrer un commentaire