jeudi 6 mai 2010

> licenciements économiques, délocalisations: l'ordre règne




Décidément, tout le monde fait des bêtises, et tout le monde prend l'autre pour un ragondin. Regardez cette proposition de loi de modification du Code du Travail soumise au Sénat et adoptée le 5 mai 2010. Elle visait à « garantir de justes conditions de rémunérations aux salariés concernés par une procédure de reclassement » à qui l'employeur propose un reclassement à l'étranger avant un licenciement pour motif pour économique.

A travers cette action-éclair, il ne s'agit rien d'autre que d'essayer de porter un coup fatal à l'obligation de reclassement des salariés... en inversant la vapeur, par un « consentement mutuel » préalable au licenciement qui serait censé éteindre tout velléité d'incendie contentieux ...

dès lors que le salarié – qui aurait un don de voyance obligé - aurait à émettre un souhait (dans un un délai très bref) sur ce qui l'intéresserait là-bas et comment et pourquoi dans lepays et l'entreprise nouveaux! On imagine la réponse: "Ben non, Monsieur, il n'y a rien la-bas sur ce que vous demandez, je vous licencie, merci d'avoir coopéré !". L'assurance tous risques des délocaliseurs.
Il suffit de se rendre sur le site même du Sénat et lire le billet posé le 5 mai 2010 pour brosser le tableau des maîtres des palais de la République:
«Les sénateurs ont adopté, par 198 voix pour et 140 contre une proposition de loi, présentée par le Nouveau Centre. Le texte vise à garantir aux salariés, travaillant à l’étranger et faisant l’objet d’un reclassement, des « justes » conditions de rémunération.
Le droit français actuel offre, en effet, aux salariés licenciés pour motif économique, plusieurs garanties, comme les procédures de reclassement.
Mais pour ne pas prendre le risque de voir déclarés abusifs les licenciements économiques qu’ils ont décidés, certains employeurs leur proposent alors des postes situés dans des pays où les conditions de rémunérations sont très inférieures aux conditions françaises. »
« De fait, à l'origine de ce texte déjà adopté par les députés il y a près d'un an, se trouve toute une série d'affaires qui avaient scandalisé l'opinion. Plusieurs sociétés, dans le cadre d'un plan de licenciement, avaient proposé à leurs salariés d'être reclassés dans une filiale étrangère pour des salaires très bas.
Dernier épisode en date, les 137 euros mensuels en Tunisie proposés aux ouvriers de l'entreprise Continental.
En février dernier, les salariés de Philips, à Dreux, avaient reçu des propositions en Hongrie, à 450 euros par mois, avec la condition de pratiquer la langue hongroise.
Des salaires jugés ridicules par rapport aux standards français, mais que l'entreprise devait afficher puisque la loi l'oblige à proposer un reclassement dans toutes les sociétés du groupe, y compris à l'étranger, sous peine de voir son plan invalidé. Une mesure encouragée par la Cour de cassation afin que l'on soit certain que tout est fait pour sauvegarder un emploi.
Selon le Code du travail, les licenciements pour motif économique d'un salarié ne peuvent intervenir que si le reclassement du salarié « ne peut être opéré dans son entreprise ou son groupe « sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou (à défaut) sur un emploi équivalent ».
En mai 2009, la Cour d'appel de Reims a condamné le fabricant de chaussettes Olympia, au motif que l’entreprise n’a pas proposé, aux 47 salariés qu’il licenciait, un reclassement possible en Roumanie. L’entreprise a dû verser 2,5 millions d'euros à ces salariés licenciés.
Autre condition : les offres de reclassement doivent être "écrites et précises".  Le 21 avril dernier, les prud'hommes de Lens ont ainsi condamné la teinturerie Staf à verser 20.000 à 34.000 euros d'indemnités à des salariés, pour leur avoir proposé 230 euros mensuels en Turquie ou 315 euros au Brésil, sur des postes insuffisamment détaillés»
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Le MEDEF s'est ému de telle horreur judiciaire qui faisait condamner ses mandants, qui de bonne foi (!!) appliquaient la Loi... revisitée à la demande du patronat, justement ! En effet, il faut préciser que cet article du Code du Travail sur lequel se sont fondés ces jugements à l'encontre des employeurs avait pourtant subi le toilettage du Président de la République à la demande générale de son électorat employeur... Laurence Parizot s'en était d'ailleurs félicitée ! Mais les facétieuses et nauséeuses propositions de reclassement faites uniquement pour montrer qu'un reclassement avait été entrepris ont agacé les juges.
Alors, très vite, Laurence s'est tournée vers Nicolas pouraccélérer le projet de Loi élaboré en juin 2009 par les députés, pour l'adapter vite et bien aux intérêts des entreprises. Il fallait faire vite, adopter au pas de charge une assurance tous risques. C'est le Nouveau Centre, malle poste du président qui fut chargé de conduire l'équipage.
Nous en arrivons à l'adoption d'un texte au Sénat le 5 mai 2010 par un majorité de Sénateurs. Un texte bien fait ? Même pas ! Le même jour du vote du Sénat, le journaliste de Public Sénat mentionne les difficultés à venir ! Dans leur précipitation, les Sénateurs ne furent pas capables de les étudier pour les éviter:

1°) spécialiste du droit, comme le professeur Jean-Emmanuel Ray, le texte est un « véritable nid à contentieux ». Selon lui, les restrictions que le salarié peut apporter aux offres de reclassement à l'étranger qu'il souhaite recevoir n’étant pas limitées, celui-ci peut mentionner toutes sortes de restrictions, comme le souhait de travailler dans une grande ville ou d’avoir un travail moins pénible. Mais qu’entend-t-il exactement par « grande ville », que signifie un travail « moins pénible » ?... Autant de questions dont les réponses peuvent effectivement s’avérer difficiles à apporter, justifiant, par contrecoup, un recours judiciaire.
Le texte est par ailleurs inapplicable aux cas de liquidation judiciaire. En effet, le mandataire liquidateur dispose en principe de quinze jours pour remplir l'ensemble de ses obligations légales vis-à-vis des salariés licenciés.

2°) D'après le président du Conseil national des administrateurs et mandataires judiciaires, le délai de six jours laissé par le texte au salarié pour répondre au questionnaire conduira les salariés à contester juridiquement la validité de la procédure suivie.

3°) Eric Woerth, ministre du travail: « On prend aussi le risque de voir des employeurs malhonnêtes organiser la faillite de leurs filiales à l'étranger pour échapper à leurs obligations ».

4°) le rapporteur de la commission des affaires sociales du Sénat,  Jean-Marie Vanlerenberghe, lui même, considère que ce texte « exigeait encore d’être amélioré » Elle est bien bonne !
Mais alors, les Sénateurs n'étaient pas en mesure de l'améliorer ? Trop fatiguant ? Ou trop pressés par l'objectif ?
Oui, c'est ça: « Les sénateurs qui souhaitaient amender le texte se sont rendus à l'avis du gouvernement, qui souhaitait son adoption rapide. »

5°) Le groupe socialiste du Sénat « a "dénoncé" mardi la proposition de loi sur les conditions de rémunération proposées à l'étranger aux salariés reclassés qui, selon lui, "n'apporte rien de concret aux salariés ". 
Les socialistes voudraient-ils nous cacher que « Les députés PS avaient pourtant approuvé cette proposition le 30 juin 2009 lorsqu'elle avait été votée en première lecture par l'Assemblée nationale » ?
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François Sauvadet, Président du groupe Nouveau Centre et ses quelques députés se félicitent de l’adoption … c'est pour eux une « avancée majeure pour les salariés qui se voient proposer des offres indécentes et souvent blessantes. »  « c’est en quelque sorte un consentement mutuel et c’est un incontestable progrès social ». Il ne doit pas avoir les mêmes lunettes que le ministre du travail.
Allez savoir pourquoi le MEDEF se félicite.
Dans ce fatras législatif, on tire à hue et à dia et l'on maquille les mots. Les marqueurs de la démocratie s'effacent et se creusent les fossés. Nos représentants jouent gros.
Le gouvernement, factotum de Nicolas Sarkozy, se déconsidère.
L'ordre règne.


le dessin d'avant retouche qui illustre le billet est tiré du blog Redonnons la parole aux murs.

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