mercredi 12 mai 2010

> Le contrefou du roi



On sentait bien que quelque chose le travaillait depuis longtemps. Il aurait voulu continuer de nous le cacher, mais le temps politique ne fait rien à l'affaire. Il vous rattrape puis il vous met à nu. Sous le complet veston de l'homme politique couvait le drame qui l'emporterait.
Rigueur ou pas rigueur? Fillon s'en "contrefout" : « A la question de savoir ce qu'il répondait à ceux qui dans son camp n'hésitent pas à employer le mot tabou, (de « rigueur ») le premier ministre a répondu : "Je leur réponds que je m'en contrefous."



Maintenant c'est officiel, les Français le savent, Fillon s'en contrefout.
Ce n'est pas faire insulte à l'homme que de dire qu'il trainait cela depuis des années, comme un boulet. Il aura suffit d'un presque rien, de la perspective d'un chaos économique et social pour qu'il lâche la vérité. Fillon, depuis longtemps, souffrait pour vivre, mais s'en contrefoutait.
C'était une souffrance muette.
Il aurait encore voulu la taire, tenir l'image sans la ternir, mais il a tenu à se soulager un jour de printemps 2010. Il vint vers nous en exprimant qu'il se contrefoutait. Autant dire qu'il montre un grand courage, digne de l'homme d'État qu'il aurait voulu être, dont chacun sait que la fonction demande de grandes capacités à se contrefoutre des autres.
Il faut saluer le geste et le mouvement des lèvres.
Imaginez que vous vous contrefoutiez vous-même, que peut-être vous vous soyez contrefoutu longtemps de vos contemporains sans rien dire à personne. Auriez-vous eu le courage de François Fillon pour l'exprimer ? Lui, très tranquillement, l'a dit pour se libérer. Alors, ne le blâmons pas. Ne l'accusons pas des pires mots, lui qui nous invite à nous contrefoutre de la vie politique où il serait l'un des bergers du troupeau bêlant.
A d'autres moment de nos vies citoyennes, nous nous serions contrefoutus de savoir pourquoi François Fillon s'agitait lentement dans l'ombre des autres. Si Nicolas Sarkozy n'avait pas été élu en 2007, peut vous chaudrait de savoir ce que son acolyte de campagne, rallié de la 25eme heure, était devenu. Sarkozy battu, il serait allé se contrefoutre à l'ombre d'un autre qui serait en puissance un futur vainqueur. Mais bravant l'interdit de l'énoncé de son état d'esprit à ce moment de sa vie politique, en 2010, au moment même où les Pierre de Ronsard naissent en mon jardin, Fillon parle enfin de lui, personnage public mal dans notre peau.
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Il a toujours été comme ça François Fillon. Il sait le Bien, le Mal, mais il s'en tape.
A bien regarder derrière ses épaules, à faire le bilan, on sent l'homme qui s'est contrefoutu longtemps. Son coming out nous invite à y regarder de près, même brièvement.

Elisabeth Roudinesco nous dirait que « ça vient de quand il était p'tit ».
Les faits ne lui donnent pas tout à fait tort, puisque François Fillon sera « exclu provisoirement » du « collège privé de Saint Michel des Perrais à Parigné-le-Pôlin pour avoir jeté une ampoule lacrymogène en plein cours ». Sous la calotte perçait le révolutionnaire. C'est la version officielle, celle de Wikipédia, où le bon et le mauvais se côtoient, et dont pourtant proviennent les informations qui suivent.
En fait, François se contrefoutait sans le savoir. François connaissait là sa première crise. L'avenir allait nous donner raison et la maladie s'installer: du « lycée Notre-Dame de Sainte-Croix du Mans » il sera «exclus pendant quelques jours pour indiscipline » Il n'y avait pas encore de vidéos dans les établissements scolaires, mais le bouche à oreille fonctionnait bien. Tous les lycéens le montraient du doigt et faisaient un bras d'honneur au semeur de troubles. Le proviseur, qui voyait loin, ne disait rien sachant qu'il risquait gros s'il réprimandait un adolescent qui se serait contrefoutu de ses propos, dès lors qu'il savait qu'il aurait le bras long plus tard, en passant par chez les scouts puis l'Assemblée Nationale.
Ses aptitudes à se contrefoutre de son prochain le menèrent naturellement, à obtenir en 1972 un baccalauréat de philosophie avec mention, comme Michel ONFRAY, sauf qu'ils ne fréquentèrent pas les mêmes universités populaires, et que Freud lui passe par dessous la ceinture.
Le phénomène prend de l'ampleur: il va nous faire une crise de « gaullisme social » (heureusement passagère), une spécialité « bombe à neutrons » dans la Défense nationale dont il ne se contrefoutait étrangement pas. Il devient député.
Après, cela va très vite. Il aura des aventures, notamment avec Seguin et les « rénovateurs de la droite », avec qui il fera un tête à queue (voir plus bas, rubrique « automobile ») dans un RPR contrefoutu par Chirac, dont il ne sera jamais l'ami.
Passons sur les détails: il deviendra ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, ministre des technologies et de la poste, ministre des affaires sociales et du Travail (sur recommandation notamment de Nicole Notat, ancienne patronne de la CFDT" ). Il y contrefoutrera un joli boxon.

De Seguin en Chirac, de Chirac en Balladur, de Chirac en Sarkozy, sa vie s'organise. Dans ce petit monde où tout le monde instrumentalise tout le monde, François Fillon fait son trou et promène son spleen.
Il se contrefoutait déjà de tout le monde et de tout. Il avait cela dans le sang.
La preuve, cette première journée d'après victoire en 2007, qui est«... médiatiquement marquée par le jogging qu'il effectue à 12h45 avec le président de la République au bois de Boulogne marquant l'arrivée d'un style nouveau et plus décontracté à l’Élysée et à Matignon. Il déclare : « Ce sera un gouvernement libre, mais qui mettra en œuvre scrupuleusement le projet ». Au bois de Boulogne ! Si cela n'est pas de la contrefouterie, dites moi quoi!
Passionné par la course automobile, il aime bien enfiler les combinaisons qui n'ont aucun secret pour lui. Mais il a dû mettre la pédale douce, dès lors qu'un jour, il a failli se contrefoutre en l'air contre une dune du Pilat.
On voit mieux de quoi il souffrait. Nous étions loin de cette vérité là, sourde et violente.

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Il a eu des hauts et des bas, François Fillon.
Des jours avec et des jours sans. Nous regardons tous l'actualité, et chacun voit midi à sa porte. Sauf François Fillon, qui se contrefout jusqu'à même les aiguilles de sa montre qui indiqueraient l'heure sans lui.

Le 10 octobre 2009, nous avions cru constater un mieux.
Le Premier ministre, « catholique pratiquant et venu au Vatican avec épouse et enfants, » ne s'était pas contrefoutu du «dialogue inter-religieux» ni des «changements climatiques» avec Benoît XVI.
Fillon, qui se contrefout aujourd'hui du voile, était accompagné de son épouse Pénéloppe, « coiffée d'une mantille noire ».
Le pape lui avait offert « un stylo en bois sculpté » représentant « la cueillette des olives en basse Provence », avec cette incription en lettres d'or: « Contrefous-toi ».
Il y avait eu un moment pénible lorsque le pape lui avait demandé en aparté s'il avait l'habitude de se contrefoutre tout seul. François avait levé ses beaux noirs au ciel et répondu non. Le pape, inspiré, pensa aussi dès cet instant que le diable l'habitait.

Le 21 février 2010, en visite à Amman, la crise s'aggrave: Fillon se contrefout de Bernard Kouchner sur le dossier palestinien.

D'autres alertes eurent lieu. Ce serait trop long de les exposer toutes. Seulement celle là, emblématique: le 14 janvier 2010, malgré nos prières pour qu'il se tienne tranquille, Fillon rechutait, nous annonçant que :"Nous ne serons pas loin de doubler notre dernière prévision" de croissance ».
Nous l'écoutions sans savoir qu'il se contrefoutait encore de nous. Sensible comme il est, en mai 2010, il doit regretter de s'être contrefoutu. En d'autres temps, nous nous en serions moqués. Mais aujourd'hui, l'économie sert les fesses.

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J'aurais bien voulu être une plume, pour analyser tout cela et non seulement vous rapporter des faits. Mais la Convention collective nationale de travail des journalistes ne s'applique pas à moi. Il faut du talent et venir du monde.
« La seule question qui compte, c'est ce qu'on fait. (...) » avait-il ajouté quand il avait annoncé qu'il était contrefouteur.
Que la seule question qui comptait pour lui, c'était ce qu'il faisait et jamais ce qu'il n'avait jamais fait ou qu'il ne ferait pas. Funambule sans filet, plus dure sera la chute.
Contrefoutons-nous les uns les autres.

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> les deux dessins sont tirés de ce site.




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