lundi 8 mars 2010

> Mémoires d'une veste


















Je n'ai pas toujours été à la noce. Ma vie n'aura pas toujours été facile à endosser. Je ne suis pas la seule, mais je reste sa préférée. J'avais débuté très tôt dans la confection. Je vous parle d'un temps que ceux qui n'ont pas de Rolex ne peuvent pas connaître. 

Avec Nicolas, j'avais eu du mal à naître. Mettez-vous à ma place: comment se structurer pour quelqu'un qui se défend de l'être et qui veut tout déstructurer ? J'allais l'apprendre un jour à mes dépens.
J'ai toujours essayé de lui faire le dos lisse, mais je n'y suis jamais arrivée. Il  a ce travers: il plisse tout ce qu'il touche. Toujours des plis inconvenants ternissent son image de dos, quand il nous le tourne. Ce qui, dans l'autre sens préfigure son avenir, prédiront les politologues.
Avec lui, ma vie était toute tracée: je devrai m'appliquer à lui donner de l'envergure pour qu'il puisse en découdre dans la jungle avec ses contemporains du cercle fermé Auteuil Neuilly Passy.
D'abord, il avait fallu se défaire d'influences étrangères. Brice Hortefeux nous y avait aidé un peu. Ici comme ailleurs, "un tailleur ça va, mais c'est quand il y en a beaucoup" qu'on défigure un bassin d'emploi. Le dernier mot devait revenir à la confection française, quand bien même la matière première viendrait de Singapour.
Amitié couturière intéressée, ce prétentieux de Berlusconi avait toujours cherché à attirer le Président chez les tailleurs italiens, au prétexte que les leurs ne font pas de pli dans le dos, et qu'un confort inégalé justifiait le détour transalpin: les artisans de là-bas avaient le tour de main nécessaire pour que les coups de couteau dans le dos ne glissent pas.
C'était de la concurrence déloyale, parce que sur le devant, sur le territoire national, la coupe tombe toujours mieux. Robespierre en savait quelque chose. En plus, la chose est bien connue, nous ne sommes pas de même conformité, les italiens et nous: ils sont forts en gueule et nous avons plus d'estomac, ce qui est plus seyant.

Le col a toujours été dur à monter sur mes collègues et moi, pour pareil grand homme. La forme fut aussi un problème: serais-je croisée pour un président chrétien, boléro pour un sportif qui fait du vélo en danseuse, canadienne avec doublure en peau des moutons qu'il aurait tondus? Parka, queue de pie ? La variante col Mao ne se posa même pas. Pour des raisons idéologiques, d'abord, et puis parce que Jack Lang, à l'époque, n'était pas son ami.
Le choix fait, on avait eu du mal à joindre les deux bouts car l'impératif était d'élargir ses épaules avant les présidentielles de 2007, pour augmenter la liberté de ses mouvements. Pas facile. Mais il fallait faire vite, il voulait ratisser large, cacher le sein  d'un front national au verbe haut qu'il ne voulait plus voir. « Le tissu sait tout faire, tu sais ? » lui avait dit Pasqua, qui s'y connaissait en coups fourrés.
Dès le départ, ça coulait de source, je dus m'adapter à ses mensurations et à ses exigences, pour gommer certaines de ses particularités. J'étais très soumise, mais dans la décence, avec les limites que permettait la matière dont j'étais faite. Malléable, extensible, oui, mais hors de question de dépasser les bornes en me pliant en quatre pour lui.
Le temps passant, il était devenu irrascible. Le choix du style n'avait pas été franco de port, épique: il avait fallu négocier avec Claude Guéant, lequel, sans façon, nous conviait à l'impossible: bien habiller le Président. Pour nous montrer qu'il en était son bouffon, il nous asséna un « le style c'est l'homme», comme si mon tailleur et moi étions nés de la dernière machine à coudre Singer.

J'eus donc à cœur d'épouser ses formes tant qu'il en était encore temps, avant que son embonpoint naturel prenne le dessus. C'était un être humain. Parfois, - et ce depuis sa plus tendre enfance - on ne sait pourquoi, il habillait les autres du mieux qu'il le pouvait. Si possible à leurs frais, en douce, pour les longues soirées d'hiver d'une cinquième république finissante.
Heureusement, je n'avais pas été invitée au Fouquet's. J'étais indisposée. Lors d'un dîner à la Lanterne, Barbelivien, Bigard et Christian Clavier avaient tellement bavé sur la gauche qu'un incident s'était produit, dont j'avais été victime. Une collègue avait assuré l‘intérim. Je n'aurais pas supporté les relents de la victoire poisseuse annoncée, la vue de tous ces parvenus aux mains tachées de petits fours et aux éclaboussures postillonnantes. Ce n'était pas la fête pour tout le monde. J'avais eu une conversation avec quelques-unes de mes collègues mises au cintre en fin de soirée: elles avaient connu l'enfer à se faire retourner souvent sans ménagement.
Le Président a toujours eu des fidélités fortes jusqu‘à ce qu‘il décide du contraire. Surtout pour ceux qu'il enveloppe. Moi, il m'aime parce que je l'enveloppe. Donc je l‘impressionne. Il me prend à bras le corps, il me serre, je le sers. Nos rapports ont toujours été directs.
Quand il me tape les poches, je ne sais plus à quel Saint Laurent me vouer. Il m'a toujours fait confiance, sauf à jeter de temps à autre un coup d'épaule. C'est un tic. Jusqu'à son alerte cardiaque, il m'a fichue une paix Royal, me laissant gérer mon temps sur une chaise. Lui s'en allait courir pour « faire du résultat », avec des policiers virils.
 
Le Président n'était pas toujours heureux. Il avait souvent le visage fermé quand il décidait de tailler dans le vif et dans la masse des effectifs des fonctionnaires. Il faut dire qu'il était grave dans ces temps là, les yeux dans la vague du yacht à Bolloré. Il était tailleur.

J'avais été taillée dans un bon tissu, pour avoir de la tenue, même dans les occasions les plus cruelles de la politique qu'il affectionnait tant.  Soudoyer son prochain sous le manteau était une de ses distractions favorites. Un jour, Henri Guaino, (qu'il appelait « Papa » en privé à cause d'un souvenir d'enfance: son grand père se raclait la gorge) lui avait fait une explication de texte, évoquant la morale. Il était devenu fou furieux le Président. Il m'avait tombée. Mais Papa Guaino, joyeusement, le ramena à la raison d'État. Il y avait du Mozart chez ce porte-plume là. Même si trop de notes, aurait dit Salieri.

Très vite, ses relations, qui avaient pour point commun de se pousser de la cravate, m'ont donné des boutons. 
 
J'ai des souvenirs forts. Du palais du Latran d'abord, quand il fut fait chanoine de la basilique. Il serrait très fort ses petits poings sur le bas du tissu. 
Un autre grand moment, en 2008, quand de sa cape blanche, Benoit XVI m'effleura l'épaule gauche. Moment de naphtaline mais les manches dans l'Histoire, tournées vers le ciel.

Instants de tendresse aussi, quand Angela Merkel, enfin amoureuse,
 
me frotta l'épaule droite.
 
Une Angela parfois inquisitrice, qui voulu s'assurer que l'épaulette était bien cousue.
Plus terre à terre, cet instant difficile où Dieu se retire et où l'homme reprend le dessus sous toutes les coutures. Trois individus mais deux visions du monde: sur moi, la main gauche d'Obama et une épaule à Berlusconi quand ce dernier, avec mon propriétaire, regarde les fesses de la secrétaire. (à Clinton?).
Je fus souvent le témoin obligé de ses moqueries ou de tours de mains visqueux. Le jour arriva du désenchantement
Comment leur faire confiance, à tous ces professionnels, alors qu'il l'avaient tant de fois retournée, la leur ?


J'ai assisté à la première entrevue avec Kouchner. Nicolas me posa sur le dossier du fauteuil.
Très vite, Bernard retourna la sienne. J'ai tout entendu. La scène m'a marquée à jamais. Je l'ai gardée en mémoire, et souvent, je retourne le sujet et l'analyse sous toutes les coutures. « Quoi, Bernard, vous auriez des principes ? »  L'autre répondit qu'il avait des frémissements mais ne pouvait plus en avoir, que c'était le retour d'âge, et que de toutes
façons, il ne les retrouverait pas. Pour prouver sa bonne foi, Bernard lui chanta qu'il avait été « pour le communisme, pour le socialisme » mais qu'aujourd'hui, il était « pour le capitalisme » parce qu'il était « opportuniste ». Le président n'en croyait pas ses grandes oreilles. Dutronc allait être content.
1968 ne nous rajeunissait pas. Sarkozy lui répondit qu'il était maintenant

son ami et son chef de la diplomatie. Dans un sous marin jaune, mais sans crevettes, Hervé Morin attendait sa mise à quai. Lui serait le capitaine des dragons. 

Je me souviens bien de Frédéric Mitterrand, qui pourtant avait été prévenu: quand on retourne sa veste, souvent, ça peut faire mal. Il n'avait rien écouté. Il s'est cassé le bras. Pas n'importe lequel: le gauche.
Je me souviens de Rama, qu'il me faisait toucher les bras
ouverts. De Rachida aussi, qui venait souvent pleurer sur une épaule, ce qui obligeait à détacher aussitôt des auréoles de larmes séchées.

Rachida Dati, je la fuyais comme la peste, tant elle me faisait peur: il fallait toujours éviter ses coups de griffes et les accrocs dûs aux bagues de chez Chaumet.
J'ai vu les pires choses. J'en ai vu plus d'un mettre un mouchoir sur ses convictions. J'ai entendu des "De quelle intégrité parlez-vous ? "" Qu'est ce que cela vient faire la dedans ?". Ca faisait mal.
J'étais là quand Besson vint faire ses allégeances. Claude Guéant, qui me
sentait défaillir, m'avait prise délicatement pour que je ne puisse voir. Il faisait très chaud, et l'ambiance était électrique. J'étais posée sur le cintre d'entrée du bureau. Je voyais Besson de dos. C'est aussi un angle qu'il affectionne. A voir le visage du président, je devinais celui de son interlocuteur. Il lui assura qu'il était l'homme de la situation, que l'heure n'était plus aux djellabas.
J'imaginais que dans une poche de l'autre, on lui avait mis un mouchoir pour maquiller ses gestes. Dans la pochette du haut, un petit foulard devait  pendre, pour essuyer des yeux, à défaut de les cacher.
J'étais mal à l'aise dans mes baskets depuis des mois, mais je ne disais rien. Toujours à garder pour moi les dernières impressions sur des amitiés agacentes.
Tout ce petit monde là commençait à me peser, avec ses codes, ses trahisons et ses secrets  d'alcôves dont j'étais le témoin obligé, à toujours renifler les mauvais coups, quand ils ne se poussaient pas du col. Pourtant, aux portes du Palais, je devais toujours être tirée à quatre épingles.
J'ai tout vu, tout fait. Dieu me pardonne.
Et je ne parlerai pas de cette moiteur ambiante, lourde, que maquillait mal son eau de toilette Gentleman de Givenchy qu'il affectionnait tant, croyant que l'effluve de patchouli venait de nénuphars du jardin de Giverny dont Carla lui avait montré des photos. C'était culturel. Déjà, il avait pris Monet pour l'autre, l'européen, avec deux "n". La lourdeur des tâches emplissait l'air et les aisselles aussi, tellement le Président prenait tout à bras le corps.
Plus près de nous, le salon de l'agriculture me fut particulièrement pénible. Je ne sais pas vous, mais frôler le cul des vaches n'est pas ma tasse de thé. J'en garde encore le souvenir qui donne des boutons et de fortes taches, tant les réparties prévues sont cousues de fils blancs.

Côté privé, la vie n'était pas facile non plus, à toujours s'attendre à être tirée par la manche, ou que Carla lui mette les mains sur les hanches, ce qui, à force, ferait plisser le tissu le plus apprêté. Il veillissait drôlement, se faisant plisser dessus. J'étais fatiguée.
Et puis, vinrent les Régionales. Tout indiquait qu'elles seraient bien difficiles pour lui, qui savait bien qu‘elles déborderaient du cadre. Il ne s‘était pas entraîné à répondre à l‘attaque des Français pour le cas où ils auraient décidé que sa politique pouvait rejoindre les poubelles de l'Histoire et sa « majorité » avec lui. Ils risquaient de se faire rhabiller.
Alors, il serait obligé de se laisser aller à des retouches, bien qu'il s'en défende et refuse toujours de se fendre l'habit.
Il a réellement peur que le suffrage lui taille un costard. Au début, il avait envie d'en découdre. Maintenant, il regarde ailleurs. Je passe mon temps à être secouée par lui. Il malmène mes poches. J'essaie d'être forte, mais j'ai peur qu'à la fin mars il ne m'aime plus du tout. Colérique comme il est, dès le 21 mars au soir, il peut très bien me répudier. Tout le monde le prédit: il va s'en prendre une, plus ample que moi. Une doublure.
Après, jusqu'à 2012, ce sera l'enfer.
Dans l'armoire, si l'on me garde, je filerai à l'anglaise; je ferai de la résistance malgré mes pleurs. Ils m'appelleront le veston sur cils. Je serai un peu plissée, mais je resterai de marbre, confinée en mon air et soie. Mon bonheur sera complet.
Je serai triste, mais pas prise au dépourvu. Prévoyante, pour ma retraite, j'avais cotisé chez FininVeste. Pas à la même caisse que celle à Berlusconi, mais presque.  Moi, je l'alimentais, et lui tapait dedans.
J'arrête là de me plaindre. Vous saurez mieux que moi continuer l'enfer en allant voter. Après, il se pourrait qu'il soit plus doux à paver.









 








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