jeudi 14 janvier 2010

> Daniel Bensaïd, via son père. Oran.



Tout a été dit sur Bensaïd. Emouvant.
Je vais  lui dire au revoir à ma manière, à ce fils de juifs pauvres d’Oran qui ne m'a rien demandé. En évoquant Oran, ville de son père et l’histoire tourmentée de la ville, avec des sonorités qui s'y rattachent, de près ou de loin, mais à coeur.
L’histoire d’Oran m'a fasciné dès 1962. Vous voyez ce que je veux dire? Mon meilleur pote arriva de là-bas un vilain soir, à 16 ans, serrant une petite valise avec son coeur dedans, gros comme une pastèque. Il en avait gros sur la patate aussi. Pas envie de chanter. Pas de chant des africains, alors qu'il venait de loin. Pas d'OAS. Juste un SOS. Pas même de chapeau rond comme d'autres têtus, mais il avait la tête près du bonnet et était venu ici fissa alors qu'il était de là-bas. Mais il disait aussi que là-bas la France n'était pas chez elle. Allez comprendre.


Je l'aimais bien Richard. Lui, il me l'a dit sur le tard, qu'il m'aimait. C'était durant le deuxième mois des trois pendant lesquels je lui ai tenu la main en 2008, le temps qu'il en finisse d'avoir d'avoir mal à ses  quarante cinq kilogs  de douleur à cause du crabe dans le ventre, et de  se souhaiter la paix. Il laissa dans une cassette de curieux chants gravés. J'en fais don à Bensaïd, pour solde de tout compte.

Imaginez l'Oran des juifs qui arrivent avec les Phéniciens, (la Palestine  des phéniciens pointait déjàs le bout de son nez), des berbères, les 100 000 juifs chassés d’Espagne qui viendront pour bonne part peupler la ville en 1492

Une  ville qui aimantera l’Espagne, venue s’y installer en 1509, mais dont elle chassera à nouveau les juifs ! L'idée fixe et la continuation d'une mode. Serrée près du corps sous peine d'en perdre la tête.


L’Oran des Turcs qui arrivent en 1708, les juifs qui  s’y  installent à nouveau... mais  les Espagnols qui reviennent en 1732, chassant les juifs… Comme un pendule de Foucault avant l'heure, témoin d'une rotation  de la Terre tombée sur la tête depuis déjà longtemps, sur laquelle on voudrait bien voir ses passagers tourner mieux avec des idées qui oscilleraient du côté où la vie serait possible pour tous, quelle que soit la latitude du lieu d'observation. 

Le tremblement de terre d’octobre 1790,  les Turcs  revenus en 1792 et les juifs qui s'y réinstallent.

Et puis, en 1831, l’arrivée des Français. Le décret Crémieux promulgué dans ma bonne vile de TOURS en 1870, qui donne la nationalité française aux 37.000 juifs d’Algérie qui auraient une identité nationale avant Besson. Ce qui créera d’autres problèmes…

Daniel Bensaid, pour ce que j’en ai lu, portait ses originalités en bandoulière. Mais je lui fais deux clins d’œil insistants par deux chansons ladino, une  « langue calque ».

Nous sommes peut-être à  Grenade entre mer et montagne, au Realejo, le quartier de los judios.  Ils y sont mais ils vont bientôt en partir. 1492, c’est demain. Boabdil vient de se rendre, et Chritophe Colomb découvre l’Amérique.


L'auteur de "Puncha, Puncha"  chante à sa belle, absente et lointaine, que la rose blesse autant que  l’amour fait mal. Qu’elle n’est pas faite pour lui, qu’il faut qu’elle l'oublie. Mais il se souvient. « Te souviens-tu de cet instant où je te baisai la bouche ? » Ce temps là n’est plus. Il ne reste que  la douleur au cœur. "Montagnes hautes, mers  folles, emmenez-moi  là où est mon amour".

Dans cette version de la chanson, nous n'entendons pas la prière du voyageur au long cours qui dit à l'aimée que si elle voulait le voir, il lui suffirait de sortir et tourner son regard en direction de la mer. Il est probable qu’il y serait, pour lui parler.
Daniel Bensaïd y est aussi.
                                                                                       


Puncha, puncha la rosa huele
que el amor muncho duele.
Tu no nacites para mi:
presto alexate de mi.

Acodrate d'aquella hora
que yo te bezava la boca.
Aquella hora ya paso,
dolor quedo al coracon.

Montanas altas y mares hondas,
llevame onde 'l mi querido
llevame onde 'l mi amor,
el que me de consolacion.




La seconde chanson, c’est  ce « Avre tu puerta cerrada », "Ouvre ta porte, parce qu’à ton balcon il n’y a pas de lumière… partons.". L'appel du large et de l'ailleurs encore.



Avre tu puerta cerrada
Que en tu balcon luz no hay
El amor a ti te vela
Partemos mi flor
Partemos de aqui
Yo demandi de la tu hermozura
Como
 te la dio el dio
La hermozura tuya es pura
La merezco solo yo



Et puis enfin, une dernière pour la route de Daniel Bensaïd, si longue, cette belle mélodie du Avishai Cohen Trio, pour  un « Remembering ».





Daniel Bensaïd est parti, lui qui ouvrait les portes d’un sourire. Avec Richard, ils se sont déjà dit des secrets dans la salle d'attente.

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