lundi 10 mai 2010

> Maurice Allais, prix Nobel et sapeur de moral





Des billets avaient déjà cité le bonhomme. On peut se demander pourquoi les médias sont si taiseux à son propos. 
On cherche, on se demande pourquoi Maurice Allais, citoyen français Nobel 1988 de Sciences Economiques, est privé de mots par la bien-pensance économique. Comme si son prix était une maladie honteuse.
Lire (ou relire) quelques uns de ses propos anciens donnent à son « enfermement » médiatique un sens bien lourd encore douze années plus tard.

Il y a comme une odeur de poudre dans l'air, des prédictions que les gardiens du système économique en majesté voudraient filtrer au masque à gaz.
Ce n'est pas son prix qui sent mauvais pour l'establishment, ce serait bien ses analyses et prédictions, exposées de longue date.
Ainsi, dans une tribune dans le Figaro en octobre 1998 « qui fut reprise un an plus tard dans son ouvrage La Crise mondiale d'aujourd'hui (Éditions Clément Juglar, 240 pages), il écrit à propos de « la crise mondiale »:

"De profondes similitudes apparaissent entre la crise mondiale d'aujourd'hui et la Grande Dépression de 1929-1934 : la création et la destruction de moyens de paiement par le système du crédit, le financement d'investissements à long terme avec des fonds empruntés à court terme, le développement d'un endettement gigantesque, une spéculation massivesur les actions et les monnaies, un système financier et monétaire fondamentalement instable (...)
Ce qui est éminemment dangereux, c'est l'amplification des déséquilibres par le mécanisme du crédit et l'instabilité du système financier et monétaire tout entier, sur le double plan national et international, qu'il suscite. Cette instabilité a été considérablement aggravée par la totale libération des mouvements de capitaux dans la plus grande partie du monde. 
(...) Depuis 1974, une spéculation massive s'est développée à l'échelle mondiale. A New York, et depuis 1983, se sont développés à un rythme exponentiel de gigantesques marchés sur les "stock-index futures", les "stock-index options", les "options on stock-index futures", puis les "hedge funds" et tous "les produits dérivés" présentés comme des panacées (...).
Qu'il s'agisse de la spéculation sur les monnaies ou de la spéculation sur les actions, ou de la spéculation sur les produits dérivés, le monde est devenu un vaste casino où les tables de jeu sont réparties sur toutes les longitudes et toutes les latitudes. Le jeu et les enchères, auxquelles participent des millions de joueurs, ne s'arrêtent jamais. Aux cotations américaines se succèdent les cotations à Tokyo et à Hongkong, puis à Londres, Francfort et Paris. Sur toutes les places, cette spéculation, frénétique et fébrile, est permise, alimentée et amplifiée par le crédit. Jamais dans le passé elle n'avait atteint une telle ampleur (...).
L'économie mondiale tout entière repose aujourd'hui sur de gigantesques pyramides de dettes, prenant appui les unes sur les autres dans un équilibre fragile. Jamais dans le passé une pareille accumulation de promesses de payer ne s'était constatée. Jamais sans doute il n'est devenu plus difficile d'y faire face. Jamais sans doute une telle instabilité potentielle n'était apparue avec une telle menace d'un effondrement général."
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Dans « Nouveaux combats pour l’Europe 1995-2002 / Un aveuglement suicidaire. Pour une autre Europe » 2002 chez l’éditeur Clément Juglar, Maurice Allais dit:
pages 436-439

Le credo libre-échangiste
« Le libre-échange mondial est devenu un principe sacro-saint de la théorie économique moderne, un dogme universel, véritable religion dont il est interdit de mettre en cause les prémisses.
La presque totalité des économistes et des hommes politiques sont totalement dominés, et à vrai dire envoûtés, par cette doctrine. Cette doctrine est soutenue tous les jours par tous les médias que contrôlent plus ou moins ouvertement les multinationales bénéficiaires du libre-échange mondial.
Les défenseurs de la nouvelle doctrine confondent la rentabilité des multinationales avec la bonne santé de l’économie mondiale. Ils en arrivent à considérer que les profits des grandes multinationales et le niveau de leurs cours de bourse constituent un indicateur fiable de la bonne santé de l’économie et de la société.
le commerce international est dominé par les intérêts des multinationales et non par les intérêts des nations dans leur ensemble.
Ce que l’on constate, c’est que l’économie mondiale est organisée au bénéfice des multinationales et non pas pour satisfaire les besoins fondamentaux des communautés nationales.
... Aujourd’hui coexistent deux économies distinctes : celle des grandes multinationales et celle des nations. Leurs intérêts ne sont pas seulement différents. Ils sont antagonistes. A mesure que les multinationales délocalisent leur production dans des régions à bas salaires au cours des changes, elles détruisent des emplois dans leur propre économie nationale.
Dans ce système les perdants sont non seulement tous ceux qui sont réduits au chômage par suite des délocalisations, mais également tous ceux qui perdent leur emploi parce que leur employeur, n’ayant pas délocalisé, se trouve ruiné. Ce sont également tous ceux dont les salaires sont réduits par la concurrence des pays à bas salaires.
Les gagnants sont tous ceux qui peuvent obtenir des profits énormes en utilisant des sources pratiquement inépuisables de travail à très bon marché. Ce sont les sociétés qui délocalisent, celles qui peuvent payer des moindres salaires, et celles qui ont des capitaux à placer là où le travail est moins cher et où elles peuvent s’assurer ainsi une meilleure rentabilité.
Ce sont les dirigeants des multinationales et leurs actionnaires qui partout sont favorables au libre-échangisme mondial. Ce sont eux qui effectivement s’enrichissent. 
En réalité il nous faut distinguer entre les intérêts des groupes qui dominent la politique, l’administration et les affaires, et les intérêts des peuples. Les véritables besoins de chaque pays sont subordonnés de fait aux intérêts des multinationales, et à vrai dire aux intérêts des dirigeants des multinationales.
… Ce système insensé ne se maintient que grâce à la complicité des dirigeants politiques.
Ce sont eux, en définitive, et eux seuls, qui sont responsables des conséquences du libre-échangisme mondial, car ce sont eux qui par leur fonction sont en charge de définir le cadre institutionnel des économies."

Pages 408-409: 
"… la mondialisation, telle qu’elle est mise en œuvre, représente un danger majeur à l’encontre de la civilisation dans le monde entier, et tout particulièrement à l’encontre de la démocratie.
… les multinationales américaines... dominent en fait toutes les organisations, qu’il s’agisse du FMI, de l’OMC, de l’OCDE et même de l’Organisation de Bruxelles où partout elles ont placé des hommes dont le soutien leur est acquis.
… Cette domination des multinationales qui ne poursuivent que leurs propres intérêts représente aujourd’hui un danger majeur pour le monde entier.
… la démocratie n’est plus qu’une façade derrière laquelle agissent constamment des mafias de toutes sortes, poursuivant des objectifs qui, s’ils étaient réellement connus, seraient rejetés par la presque totalité du peuple français. »

Il y a des moments, comme ça, où on se demande pourquoi on n'enferme pas un prix Nobel en prison pour de tels propos hors « norme »...! D'autant que s'il avait raison, en les mettant sur la place publique trop tôt par excès de médiatisation, il aurait gâché des moments d'inconscience, qui sont des bonheurs arrachés sur le marche-pied du pire.
Saper le moral d'un pays, ça va chercher combien ?
Et s'il avait raison ?

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> le dessin d'illustration est tiré de ce site.


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La_crise_mondiale_d_aujourd_hui_Maurice_Allais_1998.pdf185.06 Ko

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