vendredi 21 mai 2010

> Le nuage de centres




Vous vous êtes déjà demandé combien de centre il y a? Sûrement, oui. Mais moi, pour la réponse, je n'ai jamais été prêt. C'est la visite d'Hervé Morin, président du Nouveau Centre à Saint-Guénolé le 19 mai 2010 et son « embarquement à bord d'un bolincheur  pour une nuit de pêche » qui m'a de nouveau alerté.

Hervé Morin, ministre de la Défense, faisait là un « déplacement politique ... pour découvrir le monde de la pêche ». Étonnante équipée: on pensait qu'il en était déjà un spécialiste depuis sa saillie sur les crevettes et les sous-marins.

Pardon de vous faire partager mes frayeurs. Mais l'angoisse monte encore: comment peut-il y avoir un «nouveau centre »? Ce pourrait bien être une idée à l'actuel Président de la République.

Pour créer son monde, Nicolas Sarkozy a employé la même méthode que les anciens Grecs d'il y a longtemps avant la crise: comme il était sans gauche, qu'il ne lui restait que la droite et ses extrêmes, il lui manquait quelque chose: il lui fallait un centre. 

Alors, n'écoutant que son courage et Henri Guaino, il lâcha « deux aigles des points extrêmes oriental et occidental de...» l'Hexagone. «  Au point où ils se rencontrèrent », Nicolas Sarkozy laissa tomber un moyeu de vieille charrette « marquant ainsi le centre, le « nombril » du monde... » politique de sa gouvernance.

Né dans une caisse de pâte à modeler, le centre allait renaître de ses cendres, sans cesse renouvelées.
La quête de l'Omphalos de Delphes prenait un coup de vieux à Paris, et notre Indiana Jones s'appellerait Hervé Morin.
Indiana fit ses études à l'université de Chicago, et Hervé ses facultés dans les universités d'été de François Bayrou qu'il lâcha en rase campagne présidentielle de 2007, un peu avant que Ségolène téléphone à François une nuit de pleine lune. En tout bien tout honneur.

C'est le nombril qui peut poser problème quand on veut chercher le centre, parce qu'une ombilication peut se former, qui est la formation d'une dépression circulaire au centre d'une pustule. Et justement, arriva le Nouveau Centre.
C'était un centre nouveau. Cela voulait dire soit qu'il en remplaçait un (l'ancien) ou qu'il y en avait plusieurs. La première hypothèse pouvait se tenir mais la seconde était inconcevable, comme si un autre, nouveau, allait remplacer le centre de la Terre, qui est vieux comme Hérode.

Le centre avait toujours été pour moi un sujet de tourments.

Je me souviens que mon père, quand j'étais tout jeune, ne manquait pas une occasion de dire, l'oreille collée au poste radiola, que le centre n'existait pas.

Il disait que Robert Schuman et Lecanuet c'était bonnet blanc et bonnet d'Opus Dei. J'avais du mal à le suivre.
Pour faire joli et me faire rêver, il inventait souvent des histoires qui me feraient voler loin. Ainsi, un jour m'avait-il dit que les centres, vastes oiseaux d'amers, avaient des ailes chrétiennes ou des ailes laïques qui les empêchaient de se poser sur la terre comme au ciel. Il devait confondre avec les albatros, mais l'interrompre aurait équivalu à me prendre une gauche.

Il avait des raisonnements à l'emporte-pièce, Papa.
Il disait que, à supposer que "ça" existerait, le centre "ça" n'avait pas de sens puisqu'il se déplaçait toujours. Que c'était une auberge espagnole, sauf qu'il n'apportait rien et au contraire n'allait que dans des endroits où il y aurait à boire et à manger, et où, fin consommateur de la politique, il garderait une bonne poire pour sa soif. Que les hommes qui croyaient en être devaient être bien malheureux.

Pour me dérider les jours de mauvaises notes, mon père dessinait une centrifugeuse avec son couteau Laguiole. Son explication de la force centripète me faisait déjà plier en deux.

Plus tard, il me mit la puce à l'oreille quand il posa ce constat: à supposer qu'il puisse exister, un centriste se dit toujours réformateur mais on se sait jamais de quoi. Il rajouta quand je serai adulte, je m'en apercevrai « si ça se trouve ». Or, on ne trouverait jamais rien. Aucune trace. Sauf de promesses que l'on voulait faire croire aux électeurs.

Mon père a toujours insisté sur l'absurdité qu'il y aurait à considérer qu'il pourrait y avoir un centre droit et un centre gauche alors que le centre est censé être au milieu, qu'en sortir équivalait à pencher sur un côté.
Malicieux, il ajoutait: « Tu verras, le centre qui voudrait l'être mais ne l'est pas, penche toujours du côté où il va tomber, et c'est toujours à droite ».
J'étais encore un peu naïf et ne le croyait pas.
Pour ne pas lui donner raison, je lui répondais que ce n'était pas logique, car logiquement le centre est milieu, solide sur son trou, comme un nombril, et en conséquence il ne pouvait pas pencher. Je ne savais encore pas que je n'avais pas tort. J'aurai l'occasion plus tard de vérifier auprès de mes contemporaines que leurs nombrils ne penchait pas.

Mon père était bûcheron. Il avait des idées simples, mais tranchées, taillées à la serpe. En ce temps là, il n'y avait pas de tronçonneuses.
Un jour, pour finir de me convaincre sur sa théorie du chaos centriste, il m'invita à regarder sa hache de plus près.
« Je t'ai déjà dit que les observateurs racontent que le centre est toujours à côté du manche. Et qu'est-ce que tu vois ? Tu vois que le manche n'est pas au centre mais à l'extrémité de ma hache ! ». Ce fut lumineux.

Arriva 1981. La droite, faussement centrée, venait de prendre un coup d'air froid. Elkabach, l'air pincé, annonça la nouvelle. Dans ce moment « pré-révolutionnaire », on a même vu des centristes qui se disaient démocrates et socialistes. Ils devaient être énervés, mais ça en jetait: ils venaient de découvrir le système du balancier qui redonnait au centre sa position indiscutable, celle d'être équidistant de la droite et de la gauche.

Après, c'est une autre histoire: on prendra l'habitude de constater qu'un ancien « centriste passé avec armes et bagages à droite soutient toujours qu'il est centriste ». Çà se passe toujours comme ça. C'est l'effet secondaire bien connu de la piqure de rappel, comme cet autre que le « centre ne veut jamais rien entendre », ce qui est logique puisque le centre n'a pas d'oreilles, sauf celles de ceux chez qui il bivouaque.

Aujourd'hui, ceux qui se disent au centre se posent encore en permanence la question du sens du centre.

Gilles de Robien a exposé le 19 mai 2010 qu'il voulait « réunir les centristes  », ce qui tendrait à nous faire croire qu'il y en a plusieurs, des centres. Ce qui est absurde. Sauf à posséder plusieurs nombrils.

De Robien, le même jour, a demandé à dépasser les chapelles centristes « pour construire une cathédrale d'idées ». Il devait sortir de la messe. Ce qui confirme bien le côté « ailes cléricales » de l'histoire à mon père.

De Robien a rajouté que « dire que François Bayrou est un centriste est un contre sens ». C'est dramatique. Pour Bayrou et pour nous aussi, car de Robien est bien flou: le contresens, c'est vers où ? c'est le centrisme de Bayrou qui est un contre sens, ou est-ce le centrisme qui le serait ? C'est une question existentielle.

Jean Louis Bourlanges, un ancien fan à François, assurait le 13 mai que « Bayrou a conduit le Modem au fond du gouffre ».
Or, nous l'avons vu en début de billet, l'omphalos est obligatoirement du vide. Ce qui revient à dire que Bayrou et son Modem étaient dès le départ dans le trou.

Jean Louis Bourlanges est aussi celui qui a déploré que sa famille « gît désormais à terre, tronçonnée en trois morceaux inanimés : entre l’UMP, le MoDem et le Nouveau Centre, les enfants de l’UDF n’ont le choix qu’entre une reddition, une secte et un camp de réfugiés » et qu'il ne « voit pas comment le président du Nouveau centre et ministre de la Défense, Hervé Morin, peut« incarner un projet différent de Nicolas Sarkozy ». Ce faisant, il nous dit que Morin et Sarkozy, c'est du pareil au même. Comme Sarkozy est très à droite, Morin l'est autant, donc. Il ne serait donc pas au centre, fut-il nouveau. CQFD.

On le voit, le nuage de centres n'en finit pas de tomber. L'empire du milieu ne fait plus peur à personne.

Les Shadoks, spécialistes en tout, et notamment de la cuisine électorale, expliqueraient que le centre c'est une casserole qui n'a ni sa queue à droite ni sa queue à gauche. Ou que c'est une passoire sans trous.


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