dimanche 24 janvier 2010

> Rien de changé. François Béranger.

Rien de changé. François Béranger.




L’autre jour, je lisais ce billet sur Gainsbourg. Un bien bel exercice. Je me suis dit qu’il aurait bien aimé le lire de son vivant. Les yeux voilés de larmes ou de gitane. On ne savait jamais, avec lui.
Avez-vous remarqué? Quand on parle d’un artiste encore «en exercice» on dit de vous que vous êtes de «votre temps». Quand vous évoquez un artiste du temps de votre jeunesse d’homme, mais qu’il est décédé, on dit que vous êtes un vieux con.
Pourtant, ce pourrait être le même sujet…


Commentant l’actualité, vous êtes «actuel» et pertinent. Dans l’autre cas, vous êtes un «has been».
Il ne faudrait pas vieillir. 
Vous aggravez la pathologie si vous y mêlez une tranche de votre vie. Un commentateur qui ne sera pas vous, avec les mêmes mots, est un analyste avisé. Vous, vous radotez, vous êtes de parti pris, mettant au jour un «monde perdu maintenant». Vous êtes du côté «des perdants». Vous êtes perdu. Bienvenue au club.

Ajoutez, baissant la tête, un «Moi, de mon temps» malencontreux qui surlignerait la position du missionnaire, comme un retrait - genre comme pour ne pas déranger - dont la traduction sera «Pardonnez-moi de prendre encore un peu la parole alors que comme lui je devrais être mort au regard des techniques». Alors, vous serez bon pour l’abattoir et l’équarrissage.
Comme si le petit feu d’une bougie d’hier était plus ridicule qu’un petit feu d’une bougie d'aujourd'hui, qu’il aurait moins d’importance. Alors qu’il brille encore. Et autant.

Justement, j’en viens à François Béranger. Au souvenir de son chez lui qui est aussi le nôtre à partir des années 70.
De sa fenêtre fermée depuis 2003 (il avait 67 ans), filtre encore de la lumière. Il suffit de pousser la porte.Vous venez avec moi?
Forte voix des années 70, père ancien résistant et syndicaliste. «Sorte de fils caché d’Aristide Bruant et de Fréhel (à moins que ce ne soit de Gaston Couté et de Damia), ce folk-singer libre penseur héritier de Woody Guthrie   va nous accompagner longtemps.
Pour moi, cela commence en septembre 1973, au jardin des Tuileries, lors d’une manifestation monstre contre le coup d’Etat de Pinochet au Chili. Ca vous rappelle quelque chose, n'est-ce pas, vous qui venez de regarder un film pour vous reposer la tête? Un Avatar ?




 François Béranger résistera toute sa vie, se produisant devant des publics énormes.
Tricard dans la presse, liste rouge sur les radios et télés, il vendait un nombre de disques impressionnant. S’il vivait encore, il se produirait dans des meetings…
«Pendant des années, Béranger ne lâchera rien, il continuera à dénoncer à tour de mots pointus et acérés, et de textes aigus, les inégalités, en tapant sur les institutions, sur le pouvoir, les cons, le modernisme…». L’après 1981, sera le temps des désillusions, comme pour d’autres.
L’actualité de ses textes est étonnante.
Ce tendre et coléreux s’interrogea souvent sur son métier de chanteur. Peu de mots.
Voici ses «Mots terribles» (1998):

«Tous ces mots terribles qui font des chansons, parlant de misère, d'ennui, de prison, ne sont que des leurres chassant nos démons bâillonnant la peur, pendant un moment. Chanter, c'est pas vivre mais c'est l'espérer, chanter c'est survivre quand on est vidé, vidé de ses illusions, tout nu et tout con, essoré, déboussolé, cassé, piétiné.
Je ne suis ni meilleur ni plus mauvais que vous; contre vents et marées, envers et contre tout j'ai, chevillé dans le cœur, un rêve de bonheur
Un geste, un regard, un mot, un ami qui vient, deux arbres dressés dans le ciel, la lune et la nuit.
Deux amoureux…une fille qui revient d'un voyage très loin… mots terribles qui font des chansons


Dans son «Manifeste», tout y est:


«On m'a dit : "fais des chansons comme-ci", on m'a dit : "fais des chansons comme ça", mais que surtout ça ne parle jamais de choses vraies, tellement vulgaires.
Comprenez-vous, entre nous cher ami, la réalité faut un peu l'arranger, la réalité, vous savez comme c'est bien souvent dégueulasse…dans une chanson, faut faire des ronds, il faut créer des images illusions pour faire avaler à nous pauvres couillons notre ennui quotidien.
Viens mon amour, ma joie, sur la colline aux senteurs orientales, on va sûrement rencontrer Jésus Christ dans un caleçon à fleurs de Monoprix. Il aura sa plus belle auréole, en plastique à dentelle mécanique.

Rien de changé sur notre quotidien sur toutes les choses qui font que l'on est bien manipulé, bien conditionné par une bande de requins.
Rien de changé depuis la Communale où pendant des années on bourre le crâne aux enfants à grands coups de programmes pour qu'ils soient bien dressés.
Rien de changé dans les usines, la gueule des mecs de l'équipe de nuit qui vont dormir quand le soleil se lève exténués, abrutis.
Les petites fleurs, les petits oiseaux, les petites filles, le français moyen, les grosses bagnoles et les belles motos pour super viriliser nos minets. Belle fille heureuse dans son corps, grâce au tampon Igiénix qui ne fuit pas.
Rien de changé depuis l'Algérie, sinon que maintenant il est permis d'en parler et de gagner des sous avec des milliers de cadavres.
Rien de changé depuis un tabassage à la matraque un 14 juillet, pour avoir osé chanter et danser, quand c'était interdit.
Rien de changé depuis qu'un jour j'ai pissé sur ma télé tellement c'était chouette, et bien sûr toute l'électricité m'est passée dans la quéquette: Bonsoir téléspectateurs ! Ce soir sur la deuxième chaîne couleur, dans notre série «Que la vie est belle !», notre grande enquête sur les mirabelles !
Et puis avant d'aller au dodo, championnat du monde de rotoplots.
Rien de changé pour la fille de treize ans avec ses petits seins et son visage d'enfant qui accouche terrorisée dans les chiottes du lycée.
Comme dirait un copain à moi, un peu fou, même complètement fou, qu'est-ce qu'on attend pour tout arrêter, tout casser et recommencer ?
Alors moi vous comprenez, les violons, la guimauve, les flonflons, je trouve ça tellement anachronique que ça me donne la colique.
Je sais bien qu'une chanson c’est pas tout à fait la révolution, mais dire les choses c'est déjà mieux que rien.
Et si chacun faisait la sienne dans son coin ?
Comme on a les mêmes choses sur le cœur, un jour on pourrait chanter en chœur... »

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François Béranger a toujours été un vieux con.
Vous me dites que s'il n'était pas mort, il serait comme les chanteurs d'aujourd'hui plus préoccupé par son compte en banque et la Loi Hadopi que par les chômeurs?
J’en parlerai à Johnny, Leforestier et Barbelivien. Et, si j’ai le temps, pour la comédie mais aussi parce qu'il connaît l’Autre et la musique, à Christian Clavier. Bien tempérés.
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... « Dire que l’État est scatologique, c’est pas vraiment très sympathique pour la vraie fiente, le vrai crottin qui engraisse si bien nos jardins… » François Béranger (in «L’État de merde»)


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